Smala Cinéma : l’éducation à l’image par l’éducation au cinéma !

Né dans la foulée de Mai 68, c’est en 1975 que Cinédit voit le jour, encore à l’époque sous le nom de Cinélibre. L’asbl prend rapidement en charge le projet Cinéma Arenberg, mais après plus de 20 ans de diffusion, le cinéma est contraint de fermer ses portes. L’équipe n’abandonne pourtant rien. Les outils seront différents, mais l’approche restera la même. Baptisée Smala Cinéma, leur travail porte aujourd’hui sur une série d’activités qui relèvent de l’éducation permanente, d’une démarche socioculturelle volontairement émancipatrice. Tous les lundis, ils organisent également des projections au théatre Poème 2. Dans le cadre du Festival Filmer à tout prix, deux ateliers à destination des jeunes seront tenus par Smala Cinéma – Rencontre avec Deborah (coordinatrice du projet L’école du spectateur et Axel (coordinateur du projet On se fait notre cinéma).

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Quelle approche favorisez-vous pour éduquer les jeunes à l’image ?

Deborah : Chez Smala Cinéma, nous revendiquons que l’éducation à l’image passe par l’éducation au cinéma. Nous avons mis en place un projet, L’école du spectateur, qui propose une approche analytique et théorique du cinéma. Tout au long de l’année, deux animateurs cinéastes, Patrick Talliercio et Clémence Hébert, se rendent dans des écoles de Bruxelles pour mener, à travers divers ateliers, un projet cinématographique avec les jeunes. L’objectif est de permettre aux élèves de se construire une culture cinématographique (ainsi qu’aux professeurs).

Axel : Le projet est souvent très bien accueilli dans les écoles parce qu’il comble une lacune dans le programme scolaire.

Deborah : Le corps enseignant est, en effet, très peu formé à l’analyse du langage cinématographique, alors que celui-ci fait de plus en plus partie de la culture des jeunes.

Axel : Lorsque nous avons commencé ces ateliers, l’idée de les intégrer au programme scolaire avait été proposée. Cela n’a finalement jamais été mis en place au vu du manque de réelle volonté  des enseignants à l’époque. Nous remarquons aujourd’hui qu’une nouvelle génération de professeurs est sensibilisée à la question et favorise ce type d’approche.

 Par qui la démarche est-elle entreprise ?

Axel : En primaire, nous démarchons auprès des directeurs (-trices) d’école et des institutrices (-teurs) mais la demande est souvent effectuée par l’instituteur grâce à un bouche à oreille positif.. Pour les secondaires, chaque professeur peut faire la demande pour son cours et ce, qu’importe la matière qu’il donne. En général, ils ont une prise de conscience personnelle sur l’importance du cinéma, ils se rendent compte que le cinéma peut représenter un outil d’analyse aussi bien sur le fond que sur la forme. Les professeurs de langues sont souvent friands de ce type de support puisque la vidéo permet un apprentissage au niveau de la compréhension orale.
Nous prévenons le professeur que la forme est liée au contenu. Nous l’invitons à fixer une thématique qu’il souhaite aborder et nous choisissons un film correspondant, mais également intéressant du point de vue de son fond et de sa forme. Le film doit permettre d’analyser toute la construction formelle et les choix de réalisations : que nous donne à voir le réalisateur ? Comment construit-il son film pour y parvenir ? Pour éviter des frustrations de la part des professeurs, vu que notre objectif est vraiment d’analyser la construction formelle du film, nous leur proposons une prolongation de notre activité.

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Dans les écoles primaires, le projet est une initiation au langage cinématographique. Nous entrons dans des analyses formelles et de montage de films existants. Le projet, qui dure toute l’année, porte sur trois axes: un axe théorique, un axe pratique, un axe social.
Lors de la phase théorique, nous abordons l’histoire du cinéma en évoquant, par exemple, les Frères Lumières ou l’arrivée du son et de la couleur. On débute par le visionnage d’un film de Buster Keaton accompagné au piano par une personne présente dans la salle; différentes choses qu’ils n’ont pas l’habitude de voir et qu’ils appréhendent généralement.

Deborah : Ils sont souvent réticents à visionner un film en noir et blanc parce que “c’est un vieux film”.

Axel : Après la projection, ils sont pourtant enchantés et se sont même amusés.

Pour la partie dite sociale, nous choisissons de travailler avec des écoles de pédagogies différentes, de quartiers bruxellois et de milieux socio-économiques différents. Au cours de la saison les classes sont amenées à se rencontrer et à se faire découvrir mutuellement leurs écoles et quartiers.

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Quelles sont vos ambitions via ces ateliers ? 

Axel : Avec cette phase théorique, nous souhaitons leur montrer que la caméra peut servir de moyen d’expression. Il s’agit d’un mode d’écriture, son utilité ne se limite pas à filmer des images pour les assembler par la suite. Nous espérons qu’à la fin de l’année, le regard qu’ils portent sur l’image aura évolué et qu’ils voudront en découvrir davantage.
L’aspect pratique sert d’illustration à la théorie. Les élèves travaillent pendant cette phase sur la réalisation complète d’un film d’animation: ils pensent au déroulement de l’histoire, écrivent les dialogues, inventent les personnages… L’exercice permet de leur apprendre la technique image par image. Avant de réaliser leur propre court-métrage, chaque classe rejoue une minute d’un film choisi. Ces réalisations sont ensuite mises ensemble pour en obtenir un film, le remake collectif. Le résultat est assez marrant et nous permet de faire prendre conscience aux élèves des erreurs ou des défauts fréquents dans un film. L’analyse du remake sert d’outil pour la réalisation du court-métrage final.

Deborah : Une thématique est parfois proposée pour leur film, mais uniquement si elle est imposée au sein de leur établissement.

Axel : Nous essayons de laisser une large liberté aux jeunes pour que le projet leur corresponde entièrement. Le fait de travailler sur un film d’animation permet déjà une grande liberté dans les choix, car il n’y a aucune limite; l’élève peut, tout à fait, décider d’envoyer son personnage sur une autre planète. En général, les élèves sont fiers du résultat, nous organisons donc des projections familiales au Cinéma Nova.

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Vous avez évoqué le projet L’école du spectateur en début d’entretien, pouvez-vous nous en dire plus ?

Deborah : Le projet invite à une approche d’analyse et de découverte du cinéma. Nous essayons de développer un goût, une curiosité pour le cinéma, mais aussi de faire prendre conscience aux jeunes qu’il s’agit d’une oeuvre artistique avec une construction derrière. Pour développer cet intérêt, nous tentons de créer une culture cinématographique à travers nos différents ateliers. A partir du film visionné, ils y partagent leurs points de vue et les confrontent. Les films sont des documentaires soit personnels soit créatifs pour permettre une facilité dans l’analyse.
Au début, ils sont déstabilisés face à ce genre cinématographique, ils sont aussi régulièrement dans la catégorisation, ils essaient de déterminer s’il s’agit d’un documentaire ou d’une fiction. Notre but est de leur montrer qu’une réalité peut être fictionalisée et une fiction documentarisée. Ils n’en ont pas conscience, ils trouvent les explications très intéressantes, mais sont effrayés à l’idée de devoir se poser tant de questions lors du visionnage d’un film. C’est un travail auquel ils ne sont pas habitués, mais qui devient rapidement un automatisme.
Axel : Nous espérons leur offrir un regard différent sur cette forme tout en leur permettant de plonger dans l’histoire sans se poser évidemment trop de questions.

 Pour quelles raisons l’éducation à l’image vous semble-t-elle indispensable aujourd’hui ?

Axel : Une grande partie des jeunes possèdent aujourd’hui un appareil permettant de filmer ou de prendre des photos. Ils font pour la plupart de l’image, mais ne savent pas comment l’utiliser autrement qu’à la manière des films ou d’Internet qu’ils connaissent. A travers nos ateliers, ils peuvent expérimenter. Il nous semble également indispensable de leur montrer que l’image est un langage qui peut entrer dans la manipulation.
Deborah : L’objectif est de les faire rentrer dans une logique de questionnement critique qu’ils pourront transposer à tous les outils de communication. Leur proposer des films d’auteurs permet d’offrir des images moins formatées, qui sortent des canevas habituels.

Propos recueillis par Aurélie Ghalim et Roxanne De Smet