Cinemaximiliaan amène depuis plusieurs années déjà films et débats dans les centres d’asile, les maisons et les cinémas pour faire se rencontrer nouveaux arrivants et locaux de manière conviviale. Et de la projection de films à la production, il n’y a qu’un pas. C’est à la demande des participants et de leur désir de raconter leur histoire à travers le cinéma qu’ils se lancent dans un nouveau projet : la création d’une série de courts métrages.
« Cette expérience est vraiment géniale et je trouve cela incroyable qu’ils parviennent à un niveau de production professionnel tout en gardant une approche si humaine. À Cinemaximiliaan on ne fait pas de différence entre les gens par rapport à leur pays d’origine, on accorde uniquement de l’importance à ce que tu veux donner, apprendre, partager. C’est vraiment du partage de connaissances ». Ces mots sont ceux de Rand Abou Fakher, jeune syrienne arrivée en Belgique en septembre 2015 qui croise rapidement le chemin de l’équipe de Cinemaximiliaan. « Je les ai rencontrés il y a deux ans lors d’un événement dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts (KFDA), car un ami artiste syrien était invité comme intervenant ». Depuis, elle ne manque pas une occasion de participer à leurs workshops.
Rand a récemment décidé d’accorder plus de temps à l’écriture, une envie qui tombe à pic au vus du nouveau projet de Cinemaximiliaan. Ils lui proposent d’ailleurs d’écrire et de réaliser un film pour le prochain KFDA, le tout assisté par Bela Tarr. « Étant quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’expérience, mais qui croit en sa vision, j’ai trouvé cela super intéressant de prendre part à ce projet. J’ai pu ainsi développer mes connaissances et façonner ma manière de présenter des histoires, spécialement en ayant Bela Tarr pour me conseiller ».
« Les histoires sont plus pertinentes d’une certaine manière »
Et c’est bien là le but, que chacun puisse raconter l’histoire dont il a envie. Han van Nuffel participe également au projet. Il est, entre autres, réalisateur et donne cours dans une école de cinéma. Cet exercice d’encadrement est donc parfaitement dans ses cordes. « Ce qui pourrait être compliqué c’est qu’ils (les participants) ne viennent pas du milieu du cinéma, ils n’ont peut-être pas vu autant de films que mes étudiants, mais à l’inverse c’est aussi très rafraîchissant, car ils sont beaucoup plus libres. Ils ne réfléchissent pas en terme de genres avec tous les clichés que ça suppose. Leur approche est beaucoup plus fluide et ils sont ouverts aux suggestions, à la découverte ».
Avant l’arrivée du réalisateur hongrois, Rand travaille avec Hans sur son scénario. « Je ne sais pas ce qu’il adviendra de notre version » dit-il « mais au final ce qui importe c’est de lui permettre une totale liberté créative et qu’elle puisse exprimer ce qu’elle veut. Je suis là plus comme un conseiller, je ne veux prendre aucune décision, je suis simplement là pour offrir des options et des possibilités pour qu’elle atteigne son but ». En fin de compte, le film a vraiment pris sa forme lors du tournage sous l’impulsion de Bela Tarr qui a poussé Rand à se détacher du script et à composer avec l’énergie créative du moment.
C’est sans doute la plus grande force des projets portés par Cinemaximiliaan, cette capacité à faire converger les énergies positives de personnes venant de différents milieux et cultures, mais ayant la même envie de cinéma et de partage.
« Ça offre l’opportunité aux personnes sans voix de s’exprimer par eux-mêmes et aussi de remodeler leur identité, qu’ils aient la confiance suffisante d’agir indépendamment dans un monde dont ils ne connaissent pas forcément les règles. » explique Hans, et de continuer sur l’importance de permettre à tous les nouveaux arrivants de trouver une occupation qui a du sens durant les longues périodes d’attente. « C’est une excellente manière pour leur permettre de s’émanciper, se sentir les bienvenus et utiles. L’attente et l’inactivité, je pense que c’est un poison pour l’âme. Cinemaximiliaan leur donne un projet dans lequel s’impliquer, une responsabilité et je pense que c’est une des clés pour que les gens s’intègrent bien (…) Quand je parle d’intégration, je ne parle pas d’assimilation et c’est aussi ce que Cinemaximiliaan défend : ils nous montrent la richesse des autres cultures et l’idée n’est pas de laisser ça derrière soi, mais d’en faire profiter la société d’accueil tout en acceptant les coutumes locales. Je trouve cela très intéressant et enrichissant ». Ces différents rendez-vous permettent aussi ce changement de perception que les gens ont des immigrants et de leur apport à la société.
Apprendre et faire soi-même, partager
« Croire au potentiel de gens leur donne aussi l’envie de s’investir et travailler dur pour faire partie de ces projets collaboratifs. Quand on trouve un endroit comme celui-là, qui te donne l’opportunité de développer tes compétences ou même d’en acquérir de nouvelles, tu donnes le meilleur de toi-même » nous dit Rand. C’est évidemment son cas : « elle me demande de lui apprendre, de lui montrer pour qu’elle puisse après le faire elle-même » explique Hans. C’est aussi le cas de tous les autres participants, comme par exemple Bahzad Salhi et Mahmoud chargés de la prise de son sur le tournage de Rand. « Ils ont passé trois jours à apprendre juste avant le tournage » explique-t-elle « et ils ont fait un super boulot ». Anna Francisca Jager, Dahlia Pessemiers, Hans Bruch jr, Jeronimo Sermiento, Sean Luke, Kinshuk Surjan, pour ne citer qu’eux, tous ont participé au projet. Pour grossir les rangs, quelques élèves de Sint-Lukas Film School (Bruxelles) que Rand rencontre lors d’un précédent événement de Cinemaximiliaan ont également prêté main-forte sur ce premier court métrage.
Hans encadre un autre projet réalisé cette fois pas Fatma. S’il a pris un peu plus de place dans la rédaction du script, l’histoire originale vient néanmoins de la jeune fille qui tient à la défendre.
« Je voulais qu’on écrive ensemble une histoire sur comment elle est arrivée ici et pourquoi elle est partie. Mais j’ai rapidement compris qu’elle ne voulait pas réellement en parler ». Fatma voulait raconter quelque chose de plus léger, sur sa nouvelle vie plutôt que sur l’ancienne et parvient à convaincre Hans que c’est cette histoire-là qu’il faut raconter. « Ça te dit quelque chose de l’état d’esprit des réfugiés et que peu importe la case dans laquelle tu veux les faire rentrer, ils feront tout ce qu’ils peuvent pour tirer le maximum de chacune des situations. Je pense que c’est la nature humaine. Et je trouvais que c’était une histoire intéressante » admet-il « parce que ça montre l’humanité, mais aussi les capacités de survie qu’il te faut pour t’en sortir quand tu es réfugié ». L’histoire se passe dans un centre d’accueil où un demandeur d’asile somalien séduit plusieurs Somaliennes pour augmenter ses chances d’avoir ses papiers. « Dans une culture dominée par les hommes comme la Somalie, ça a du sens, mais c’est aussi amusant de voir qu’une fille qui a été au contact de cette culture et maintenant de la culture occidentale, belge est aussi devenue plus loquace sur le sujet. Les règles qui s’appliquaient avant ne sont plus valables ici. Je trouvais que c’était une histoire intéressante, car finalement assez inattendue ». Inattendue et enrichissante comme nous l’a répété de nombreuses fois Hans.
Quant à l’histoire de Rand, vous pourrez la découvrir les 11 et 12 mai à la Cinemaximiliaan project house ou le 13 au Palace, dans le cadre du KFDA2018. Et lorsqu’on lui demande si elle va prolonger l’expérience, voici sa réponse : « Le cinéma est le médium où je peux réunir la musique, l’image, le jeu et ma vision de la vie. La question de continuer le cinéma ne se pose même pas ». La jeune réalisatrice conclut : « C’est l’initiative créative la meilleure qu’il soit pour rendre intelligible l’incompréhensible ».
Maureen Vanden Berghe