Rencontre avec Cinemaximiliaan

Cet article est publié dans la rubrique « Dialogue » de la revue Causes Toujours. Cette rubrique est l’occasion d’aller à la rencontre d’initiatives citoyennes, associatives, culturelles de toutes formes, pour donner la parole aux acteurs socio-culturels de notre époque.

Avec un nouveau projet qui mêle cinéma et musique, l’asbl Cinémaximiliaan continue à développer un espace commun de création, d’expérimentation et de rencontre entre gens d’ici et d’ailleurs. Lors de sa 17ème édition, le Festival Filmer à Tout Prix accueille le nouveau projet de Cinémaximiliaan : « Egged on by music », la sonorisation d’un film muet par un ensemble de musiciens issus des quatre coins du monde.

Mais faisons un pas un arrière, pour rencontrer tout d’abord l’asbl à l’origine de ce projet : qui est Cinemaximiliaan ?

L’histoire de Cinemaximiliaan commence en 2015, lorsqu’un accueil improvisé se met en place pour les réfugiés dans le périmètre du Parc Maximiliaan à Bruxelles, sous l’impulsion d’initiatives citoyennes spontanées. C’est alors que la cinéaste et artiste Gwendolyn Lootens et le programmateur de cinéma Gawan Fagard, se rendent au parc pour apporter leur « aide », comme beaucoup d’autres citoyens. Très vite, Gwen et Gawan se disent que les besoins de premières nécessités sont pris en charge par d’autres, et ont alors l’idée de partager avec les familles des refugiés ce qu’ils connaissent et les passionne : le cinéma.

Ainsi, vidéoprojecteur à la main, Gwen et Gawan commencent l’aventure de Cinemaximiliaan : un pop-cinéma qui démarre sous tente, et qui très vite, devient de plus en plus mobile. Assez rapidement les projections de films deviennent itinérantes, suivant les chemins des réfugiés d’un centre d’asile à l’autre, mais aussi d’une maison belgo-belge à l’autre.

La marque de Cinemaximiliaan devient rapidement la rencontre, le groupe restreint évolue très vite, et ainsi prend vie une véritable plateforme de gens venant de partout, avec toutes sortes de statuts et d’histoires personnelles (refugiés, sans papiers, belges, étudiants, bénévoles, travailleurs, artistes…). L’accueil des belges se fait de plus en plus chaleureux, l’envie de connaître ceux qui arrivent pour la première fois en Belgique prend le dessus, les pop-up cinémas dans les maisons s’enchaînent et des primo-arrivants rencontrent des citoyens belges chez eux, ainsi que d’autres étrangers dans une atmosphère détendue et familiale.

Gwen et Gawan confirment :

« Depuis deux ans, le Cinemaximiliaan a développé des liens très intimes et durables avec un grand nombre de primo-arrivants venant de pays divers (Syrie, Irak, Afghanistan, Somalie, Palestine, Venezuela, Djibouti, etc…) : hommes, femmes, couples, familles, enfants de tous âges. Ensemble avec eux en tant que bénévoles actifs, nous avons monté une plateforme dynamique, organisant des activités culturelles et artistiques qui ne travaillent pas pour, mais avec eux. Dans le groupe on rencontre beaucoup de personnes avec une sensibilité artistique, ce qui nous encourage à continuer sur ce chemin ».

Au départ, vous n’êtes que deux, comment faites-vous pour gérer l’organisation d’une telle plateforme ?

Très vite nous avons invité les gens de la plateforme, les participants à nos projections, à intervenir dans plusieurs tâches, il y a toujours beaucoup de choses à faire et chacun peut donner un coup de main s’il le désire : pour organiser les transports, cuisiner, appeler les gens… Il y a des millions de choses à faire, mais les gens sont très volontaires ! Il y a de la place pour tout le monde.

Souvent aussi des professionnels du monde de l’art, du cinéma et de la musique, de la culture en général, sont prêts à partager leur expérience et à s’ouvrir aux projets avec une dimension sociale, spécifiquement en rapport avec le défi de la vague migratoire actuelle. Nous avons donc aussi beaucoup de personnes venant du monde artistique qui sont bénévolement en soutien au projet.

Cela permet de tisser des liens, de mettre en résonnance les envies des uns et des autres… De s’ouvrir à l’autre ».

Un projet en constante évolution…

Cinémaximiliaan est un projet bouillonnant d’énergie, réunissant les bonnes volontés des uns et des autres, reposant essentiellement sur des dons, de l’entraide, du bénévolat… L’enthousiasme général qu’il suscite se répand très vite jusqu’aux institutions. Ainsi, certains pouvoirs publics ont apporté leur soutien… Mais ce bouillonnement général amène surtout de nouvelles idées, qui transforment le projet de départ en l’adaptant aux demandes des participants à la plateforme.

Tout en continuant les séances de projections itinérantes dans les centres d’asile, les appartements privés, les cinémas et les centres culturels, depuis avril 2017, les coordinateurs de Cinemaximiliaan, ont décidé d’occuper un nouveau lieu, qui servira de lieu d’ancrage pour les projets.

Dans cette maison située le long du Canal, à Molenbeek, quelques chambres d’amis et une spacieuse cuisine accueillent des gens venant de partout, pour manger un bout ensemble, retrouver un peu de chaleur, mais aussi se laisser embarquer par les projets foisonnants.

Dans ce lieu de workshops et de projections, un nouveau projet voit le jour : « Egged on by music ».

Il s’agit d’un ensemble de musiciens d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak et de Syrie, et en partie des musiciens d’Europe occidentale, qui travaillent sur base d’improvisations pour la sonorisation du film « Egged on ».

Le groupe, sous la direction musicale du compositeur Simon Ho et la pianiste Emma Heijink, a mis au point une bande sonore expérimentale, dans laquelle les influences pop, jazz et rock se mélangent avec des ornements orientaux dans une aventure musicale révolutionnaire.

De quoi s’agit-il plus précisément? Emma et Hussein, deux musiciens du « Egged on by music » nous expliquent :

Emma : Je suis venue parce que j’ai vu sur facebook que Cinemaximiliaan invitait des musiciens pour un projet de musique live d’accompagnement d’un film muet. J’étais curieuse, je suis pianiste et chanteuse, je suis juste venue voir et j’ai été totalement séduite par l’ambiance, l’accueil, les rencontres !

Hussein : Je viens d’Irak, je connais Cinemaximiliaan depuis ses débuts au parc sous une tente. J’ai été refugié moi-même, depuis ma situation a beaucoup évolué et maintenant j’ai même des contrats avec des musiciens. Mais il est important pour moi de garder le lien avec les amis de Cinemaximiliaan. Ce qui m’a seduit dans ce projet, c’est l’idée du film : sonoriser un film en live, je ne l’avais jamais fait, alors que je suis musicien depuis très longtemps.

Emma : C’est aussi le défi de jouer à 30 avec des niveaux d’expérience très différents… Il y a des gens qui jouent depuis 30 ans et des gens qui sont au tout début… C’est un vrai challenge ! Mais on suit la même logique que pour tous les projets de Cinemaximiliaan : tout le monde peut contribuer !

Ceci n’est pas un projet de « refugiés », on veut casser l’étiquette qui est collée à la peau des gens, ici on veut sortir de la vision binaire des choses (noir/blanc, avec papiers/sans papiers, refugié/belge), on veut être dans un projet organique où le plus important est le lien entre les gens, l’écoute, la place qu’on laisse à l’autre pour exister dans toute sa complexité.

Que ce soit en parlant avec Hussein, Emma, Gwendolyn, Gawan ou les autres, une chose est claire : à Cinemaximiliaan et à « Egged on by music », le but premier n’est pas d’avoir un message politique, mais plutôt de favoriser les relations. Par contre on est tous d’accord pour dire que chaque initiative individuelle peut être vecteur de changement et, à terme, avoir même un impact politique. Du moins c’est ce qu’on souhaite à Cinemax !

Propos recueillis par Eleonora Sambasile