ACN Porn

Cet article s’inscrit dans le cadre de la campagne actuelle du GSARA, qui concerne cette année le décryptage des images pornographiques et le rapport de la société vis-à-vis de celles-ci. Il consistera essentiellement en un travail de vulgarisation partielle basé sur les recherches de Laurent Martin. L’intérêt de ces quelques lignes est de renseigner sur certains aspects de la présence de la pornographie dans les médias, dans l’espace public. Ce phénomène donne lieu à de nombreuses controverses et publications. Les inquiétudes sur le sujet concernent généralement des questions de santé publique, d’éthique et de morale, d’où la vivacité du débat. L’objectif de cet article est de relativiser le phénomène et de permettre un recul historique vis-à-vis de celui-ci en retraçant l’évolution de la pornographie.

Une idée préconçue avance que la pornographie est récente. C’est là que l’article de Martin est intéressant : l’auteur s’est attelé à un travail sur l’histoire de l’imagerie sexuelle dans l’espace public. Comme il l’écrit dans Jalons pour une histoire culturelle de la pornographie en Occident, les représentations pornographiques ne datent pas du siècle dernier. Cette conception soulève un manque de recul historique, qui a tendance à toucher les experts comme les profanes. Le genre pornographique, défini – entre autres – par « la représentation de l’acte sexuel pour lui-même, indépendamment de toute visée religieuse, politique voire artistique » se retrouve dans l’antiquité gréco-latine. Le mot tire son étymologie des termes pornai (prostituées) et graphein (écrivain), il désigne donc les personnes écrivant sur les prostituées. Il est déjà ici question de textes mais aussi d’images et le genre a déjà ses noms : Pausias et sa maîtresse Glykera, Aristide et Leontion… On trouvait ces représentations sous deux formes principalement : les peintures et la vaisselle. La première était l’apanage des classes aisées, l’autre, plutôt démocratique, a contribué à sa diffusion.

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Ces coupes, vases et autres ustensiles, dépeignent des scènes érotiques, l’intimité de couples, des banquets… L’auteur met d’ailleurs en lumière un fait intéressant :

« En même temps, beaucoup de ces scènes anticipent certains aspects de la notion moderne de pornographie (…) Ils comprennent des éléments de fantasmes (masculins) et des détails exagérés (non limités aux femmes ; le pénis de l’homme en érection est souvent d’une taille fort improbable) ; il y a des scènes de groupe, avec une grande imagination dans la combinaison des positions ; il y a des traces de sadomasochisme (…) et des représentations explicites de violences et de traitements dégradants infligés aux femmes »

Cette pornographie n’était pas restreinte aux bordels et donc cachée. On la trouvait dans le quotidien des citoyens Grecs, ses objectifs étaient l’apprentissage et l’excitation.

Un cas symptomatique est celui d’Ovide, poète latin connu pour ses écrits sulfureux. Auguste, empereur à l’époque, l’a banni pour avoir voulu ébranler l’institution du mariage avec des peintures mettant en scène l’adultère sous un jour positif. L’action ne manque pas d’ironie, étant donné qu’on retrouve des représentations graphiques des textes d’Ovide chez Auguste lui-même. Cette censure soulève cependant trois points : le fait que les classes supérieures possèdent chez elles des éléments à caractère pornographique, l’opposition entre le rapport que l’auteur entretient avec sa production ainsi que la manière dont la « morale moyenne » considère celle-ci et, finalement, la puissance attribuée aux représentations pornographiques.

Au Moyen Âge, la pensée chrétienne, largement dominante, prohibe la représentation du désir et du plaisir sensuel. Cela n’empêche pas pour autant les images pornographiques de circuler, comme le prouvent certains historiens. Les choses changent avec la Renaissance, bien que certaines barrières persistent. La libération de la nudité durant la Renaissance entraîne des levées de bouclier. Celles-ci se caractérisent par une « pudeur artistique ». Le Jugement dernier de Michelangelo, l’une des œuvres majeures de la Chapelle Sixtine, illustre parfaitement ce propos. Durant le XVIème siècle, cette production, ainsi que de nombreuses autres, feront l’objet d’un « reculotage » : certaines parties du corps seront masquées par un vêtement, une feuille de vigne, repeintes, couvertes…

Crédits photo : http://eurocles.com/

Crédits photo : http://eurocles.com/

La nudité de la fresque, qui n’émeut plus aujourd’hui, a autrefois choqué. Elle a attiré les foudres de l’écrivain Pietro Aretino. Anecdote cocasse faisant écho à la censure d’Auguste par laquelle Ovide a été frappé, puisque Aretino aussi avait donné dans le genre pornographique avec Ragionamenti, un ensemble de dialogues satiriques échangés entre une femme mûre et un jeune vierge. L’historienne Lynn Hunt met en exergue le fait qu’Aretino a réuni quelques éléments constituant la base de la tradition pornographique : une représentation explicite de l’acte, la forme du dialogue entre femmes, la bravade face aux conventions. Ces éléments sont des redécouvertes de ceux que l’on trouvait déjà dans l’antiquité gréco-latine.

Au XVIIéme S, la pornographie s’étend via le roman. L’imprimerie et l’alphabétisation rendent plus accessible ce médium. La pornographie se heurte toutefois au sceau de l’interdiction, façonnant alors sa production et sa distribution : vite produite, mal pensée et vendue à la sauvette, dans des lieux fréquentés de la capitale. Lors du XVIIIéme S est marqué par une expansion du marché du libre obscène. En réaction s’observe une moralisation des classiques, entre autres en Grande-Bretagne, desquels on cherche à retirer toute allusion déplacée. Les ouvrages considérés comme dangereux pour la population, en raison de leur caractère sexuel, sont soustraits au public.

Suite à la sécularisation des sociétés européennes, la pornographie connaît un développement industriel et devient « strictement commerciale ». Elle profite des avancées technologiques telles que la photographie. Elle se retrouve de plus en plus ouvertement dans l’espace public et ce phénomène continue avec le cinéma. En France, les systèmes de censure ne concernent pas les nus artistiques et scientifiques. Arrive alors avec la défense des représentations artistiques les questions de liberté d’expression. Ces questionnements sont parallèles au développement de processus d’autocensure : les artistes se limitent dans leur création, de sorte que le gouvernement n’intervient que dans les cas les plus extrêmes. Le cinéma pornographique est alors condamné à la clandestinité.

La limite entre décence et obscénité se déplace sensiblement entre 1950 et 1970, notons aussi en 1953 l’apparition du magazine Playboy. L’époque est marquée par un tournant dans les mœurs, avec l’ouverture des premières boites de striptease et, en 1975, le premier sexshop. En 1969 a lieu l’ouverture de la première foire internationale de la pornographie, elle se déroule à Copenhague.

À partir de 1974-1975, les films pornographiques se retrouvent de plus en plus sur le petit écran français. Cet évènement voit naître un début de reconnaissance publique (présentation d’un film X, Exhibition, au Festival de Cannes de la même année), soulevant par la même occasion des contestations.  A la fin de l’année est adoptée une loi qui scinde la production cinématographique française, de sorte que les films pornographiques et ultraviolents se retrouvent confinés dans un circuit séparé. Le régime fiscal est aussi moins avantageux pour ces productions, avec des taxes s’appliquant sur 20% des bénéfices.

Comme on le sait, la pornographie finira par s’étendre et se banaliser, mais sa consommation est essentiellement privée et solitaire. Comme l’écrit Martin :

« L’expérience pornographique se déroule dans un cadre privé, voire solitaire, même si parallèlement se sont épanouies des formes de convivialité autour de l’exhibition de l’intime. L’autre effet de l’essor de ces nouveaux médias a été de renforcer l’emprise du visuel sur le champ des signes, où s’est imposé un certain code et de l’acte sexuel et de sa représentation : réduction de la sexualité au génital (épilé), fragmentation des corps par l’usage du gros plan, figures imposées de la fellation et de la sodomie, amalgame du sexe et de la violence… La question de l’influence de ces codes sur les autres domaines de la représentation (art contemporain, cinéma classique) ,sur l’imaginaire amoureux et sur les comportements a été posée avec insistance, ces dernières années. Nous ne nous immiscerons pas dans ce débat complexe, sinon pour relever l’étonnante absence de mémoire qui caractérise certaines prises de position. Comme si, par exemple, le problème de l’incitation par la représentation datait de l’ère vidéonumérique ».

Yassine Berrada