Demi-sommeil

Le quatrième appel à projet de l’Association des Jeunes Cinéastes se nomme Pornographies. Pour les citer en restant dans le style télégraphique : « Point de départ : pornographies, comme genres, comme phénomènes de société, comme rapports aux images… Enjeux : l’expérimentation, la réflexion sur un impensé collectif ».

Le thème faisant écho à la campagne annuelle du GSARA, touchant cette année la pornographie et l’audiovisuel, il a été convenu de l’intérêt d’interroger quelques-uns des 6 lauréats retenus parmi les 24 candidatures. Les projets sont toujours en cours de réalisation. L’objectif de cette démarche est de situer comment ces réalisateurs traitent la pornographie, la sexualité, sur un écran. Leur rapport avec celle-ci, leur approche, ce qu’ils en pensent, sur leur bobine et dans notre revue.

Lorsque vous effectuez une recherche avec les noms « Mickaël Gloro », vous tombez, entre autre, sur quelques productions cinématographiques. Cependant, toutes ne sont pas l’œuvre du même homme. Le hasard a désiré que parmi ces homonymes, deux soient cinéastes et l’un d’eux, mon invité. Il accroche l’AJC grâce à La Sieste, court-métrage avec le cul entre deux chaises, celle du rêve et celle du monde extérieur, du monde éveillé, mais aussi entre quatre roues.

Expatrié Français, arpentant Bruxelles depuis 10 ans, Gloro donne dans des petits boulots pour nourrir sa passion du grand écran. Il quitte assez tôt la ferme familiale pour s’orienter vers la pellicule. D’ailleurs, chaque coup dur l’incite à poursuivre vers elle, ce qu’il interprète comme une confirmation. Il est déjà l’auteur d’un court ainsi que d’un moyen métrage, Ma bite jour et nuit et La femme de la Clairambaudière.

La Sieste entre dans le sommeil d’un homme assoupi lors d’un après-midi torride. Il se met à rêver : des voitures Majorette lui sortent des fesses et se font la course. Il sent l’excitation monter, prend le virage d’une érection, finalement, il jouit. Il se réveille.

Il est en plein sommeil paradoxal. D’où l’influence des rumeurs de la rue, de la musique des voisins. Un sommeil suffisamment léger pour entendre ces bruits, et suffisamment lourd pour qu’ils l’influencent. C’est ce que Gloro désirait montrer : pas le rêve de cet homme, mais les allers-retours entre cet univers onirique et le monde réel. Le corps devient alors un circuit de course dont on ne voit jamais l’entièreté. Il se retourne et la route s’en retrouve modifiée en conséquence, il bouge un bras…Une tension, une fragilité, que le réalisateur et scénariste voulait mettre en exergue.

De prime abord, la course-poursuite n’a rien de pornographique. L’idée était de réaliser un film X « autre ». On sent d’ailleurs dans les explications du réalisateur la volonté de donner à l’imagination une place de choix, cet imaginaire que la pornographie annihile. Il avance que le film n’est pas pornographique, pas comme les pornos que lui consomme. Pour le citer, « Ça peut être un porno parce que oui, on montre une érection, un type tout nu, une éjaculation, c’est quelque chose qu’on ne verra pas à 19h à la télé… ». C’est une question de définition selon lui, et donc ce n’est pas simple. Mais La Sieste est au-dessus du débat : « Oui c’est un porno, mais ça peut ne pas en être un et ça me plaît tout autant en fait. Si on me dit que ce n’est pas un porno ça me va tout à fait et si on me dit que c’en est un, ce n’est pas discriminant, je ne trouve pas ça sale, je ne trouve pas que ce soit un sous-genre et que ça salisse le film ».

Gloro qualifie le cinéma pornographique de chimique. Il pointe le fait qu’un film pour adultes cherche à atteindre le paroxysme, à exploser. Pour illustrer, seront mis en scène les trois plus gros sexes, qui pénétreront la femme avec la plus imposante paire de seins. Et ce, au détriment de l’aspect humain, social, que peut contenir une œuvre cinématographique. De la même manière qu’un film d’action s’imposant au box-office cherchera à proposer le final le plus colossal, « […] on va chercher le point le plus élevé dans la matière, on va chercher à faire exploser un 33 tonnes dans un hélicoptère qui va s’écraser sur un pont et la ville va sauter ». Ce « final » constituerait la condition technique nécessaire à l’apaisement de la tension. L’accomplissement d’un rapport sexuel deviendrait alors seulement envisageable sous cet angle au détriment de la douceur, de l’amour et de la séduction. Pour le citer : « La montée du désir chez le spectateur se fait mécaniquement à l’écran, chimiquement dans le cerveau, à la vue de la succession des positions et rarement de la montée du désir entre les acteurs eux-mêmes, qui peut tout aussi bien, quoique moins spectaculaire, être transmise par l’écran ». L’auteur remarque que l’équation « tension + décharge » est présente dans ses amours ainsi que dans ses critiques envers les courses-poursuites. Pareillement à une relation, une course-poursuite dont l’intrigue avance seulement d’explosion en explosion pour parvenir à l’ultime déflagration est peu intéressante. C’est ce qu’il cherche à démontrer dans La Sieste.

Crédits photo : http://www.theonion.com/article/new-michael-bay-romantic-comedy-to-focus-on-love-s-33010

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L’auteur met aussi en parallèle le manque de profondeur de leurs acteurs, «  […] mais ce sont les mêmes mecs qu’on voit, les mêmes muscles, les mêmes filles, elles sont habillées pareil […] ». Il n’y a alors pas moyen de s’identifier aux acteurs, on ne leur ressemble pas. La pauvreté du cinéma X touche généralement aussi la mise en scène. Lumière et mise en contexte sont peu travaillées et le hors champ est quasiment inexistant. De plus, la caméra est omnisciente. Elle donne vie aux images et aux sons. Frottements et respirations n’existent pas en dehors d’un zoom sur une pénétration ou un visage. Gloro dénonce ici l’invasion de l’objectif, comme il l’écrit dans la note d’intention : « À vouloir tout montrer, paradoxalement, on ne voit que ce que l’on voit ». Aucune place n’est laissée à l’imagination du spectateur, il n’y a que le monologue de la pornographie.

Lorsque je lui demande si la pornographie à l’écran constitue, dans sa globalité, un souci, le réalisateur me répond en nuançant : le problème se trouve dans l’accès. Largement installée sur le net, la pornographie est intrusive. Une fenêtre pop up représentant une femme poitrine dénudée avec un message racoleur, elle apparaît que l’on ait 8 ans ou plus. De plus, il n’est pas toujours simple de stopper ces publicités intempestives, bien que certains moyens le permettent. Gloro avance aussi que l’une des difficultés quant à l’accès à la pornographie sur Internet, c’est que la Toile a été conçue sans autorité et il est difficilement possible de remettre cela en question. D’où la diversité des contenus sur lesquels on peut tomber. Réguler l’accès, l’auteur en a conscience, est probablement impossible. Outre la problématique de l’accès, Gloro reproche aussi à la pornographie mainstream l’image des acteurs qu’elle dépeint. La maltraitance des femmes et des hommes passe par les actes perpétrés comme par la manière de les filmer : l’homme est réduit à un sexe, la femme se résume à l’objet que ce sexe pénètre.

Le discours pornographique influence alors les consommateurs. Le réalisateur définit la pornographie mainstream comme source de complexes. Puisque notre corps ne ressemble pas à celui des acteurs, puisque nos performances ne ressemblent pas à celles des acteurs. Ce sont aussi les représentations sexuelles qui sont touchées, de sorte que notre vie sexuelle s’en retrouve affectée, « Le fait de dire que l’orgasme est la fin du film, c’est le fait de dire, c’est indiquer que dans la vie, la fin de la relation sexuelle, c’est l’orgasme. » pour le citer.

Un autre aspect de la publicité contemporaine est la « genrification ». Un exemple marquant est la division des produits proposés en genres (dentifrice pour hommes, etc.). Pour Gloro, cette genrification se retrouve aussi dans la pornographie : « Pour faire simple, l’homme devra savoir diriger, être fort et solide, endurant, et la femme devra être douce, coquine, et ses désirs liés ou soumis à ceux de l’homme ; pénétration = puissance / trou = soumission. Le porno produit lui aussi ses normes de dépossession ». Ces étiquettes sont selon lui devenues culturellement admises, d’où leur efficacité pour vendre un produit, qu’il soit ou non pornographique. C’est toutefois, d’après le réalisateur, un cercle vicieux car la promesse d’émancipation faite par la publicité n’est jamais tenue car elle est continuellement renouvelée. Il y aura toujours moyen d’être plus masculin ou plus féminine et ce, au préjudice de la personne que l’on pourrait être sans ces influences. Sa perversité réside entre autres dans le fait qu’il promet la distinction et la diversité alors qu’il amène concrètement le contraire, l’unification.

Crédits photo : http://www.colgate.fr/app/ColgateOralCare/Toothpaste/MaxWhiteOne/FR/Products/Toothpaste/Men.cwsp#.V2L1UDX8oyA

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Gloro revient aussi sur un manque d’éducation à la pornographie. Il manque pour équilibrer un discours autre que celui de l’industrie pornographique. Comme il le dit, « D’un côté tout est montré et vu, quasiment, mais personne ne dit ce qu’il se passe, ce que c’est faire l’amour. Et quand on a vu beaucoup de porno avant de caresser quelqu’un, pour qui que ce soit, je pense que c’est un gros problème. ». Les cours d’éducation sexuelle, ceux que lui a reçus, n’étaient pas à la hauteur pour assurer les enjeux de santé publique qui sont reliés à la question. Vis-à-vis de la colossale quantité de pornographie disponible et visionnée, Gloro estime qu’il est plus intéressant d’initier la discussion plutôt que de supprimer la source, permettant alors de dispenser des informations et un espace où les jeunes peuvent librement s’exprimer. Certains publics sont plus vulnérables face à la pornographie. L’influence est donc plus marquée, de sorte que le discours pornographique devient la norme sociale, la manière d’agir. Il stoppe la construction de l’individu en lui imposant une mécanique prémâchée, qui institue performance, caractéristiques à posséder absolument…Ce qui induit la peur de ne pas être à la hauteur.

Yassine Berrada

Interview réalisée le 21/04/2016