La blockchain ! Du Web à la chaîne, enjeux civiques

LA PROMESSE, DU WEB À LA CHAÎNE DE BLOCS

Du web à la blockchain en concret :
Nous avons commencé cette introduction à la blockchain en comparant la technologie « blockchain » à la technologie « web » d’il y a vingt ans : une technologie qui n’en est qu’à ses balbutiements, la promesse d’un nouveau monde à construire…

Christian Fauré dans sa conférence « La blockchain au delà du Bitcoin » compare pour l’exercice, le block qui nous occupe au container utilisé aujourd’hui pour le transport et le commerce des marchandises. Cette boîte métallique a eu un impact non-négligeable sur pas mal de secteurs, pas mal de métiers :

 

image1_500Son arrivée divise le coût de la « préparation » des marchandises, leur emballage par dix ! Et elle transforme les bateaux, les métiers de docker, de marin, de transporteur routier, la taille et la fonction des entrepôts, etc, etc … Cette boîte de métal uniformise tous ces aspects à l’échelle de la planète, le commerce ne connaissant pas de frontières. Le container standard fluidifie tous les transferts,  distribue « la production » au niveau du globe et élimine les stocks…

Pour le web et les datas (on parle toujours de transports mais ici d’informations, plus de bananes), le système est actuellement comparable au commerce d’avant l’apparition du container : des entreprises  (Google, Amazon, Proximus, etc ) stockent un maximum de datas, elles tendent à centraliser toutes les transactions qui passent par le web. Cette concentration produit des dérives (on en parle régulièrement dans nos ateliers et dans ces colonnes).

 

docker

 

L’analogie du container est bien choisie, voici un des nouveaux « chalutiers » du commerce des datas : docker.com. Ce service permet de transporter des gros jeux de données entre les grands « ports » que sont Google, Amazon, Proximus, votre service cloud, etc ….

 

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Docker est déjà largement utilisé pour déployer de nouvelles blockchains depuis Ethereum (voir  plus loin) : [code]

docker exec -it bootstrap geth --datadir=~/.ethereum/devchain attach

[code/]

Du bitcoin au politique : concrètement

On le rappelle, la blockchain est ce qui permet à la crypto-monnaie Bitcoin de tourner, de fonctionner sans intervention d’une banque, d’un gouvernement ou de quelqu’autre garantie, que l’usage qu’en font les participants. Ils sont en confiance.

Le stockage des « contrats » conclus est réparti chez tous les utilisateurs du circuit, c’est un système distribué. Les utilisateurs forment « LA blockchain ». C’est le livre de compte ouvert et commun à tous qui reprend toutes les transactions effectuées depuis le premier « bloc ».

Ça permet de surmonter le problème de la « certification » des transactions (dans le cas du bitcoin, une transaction monétaire).

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La transaction commerciale est évidemment le premier type de « contrat » que l’on a modélisé pour l’automatiser via la blockchain. Mais au-delà de cette vision classique, on pourrait étendre ce déplacement de la confiance de l’humain vers la machine à n’importe quelle transaction : le vote électronique, un contrat à l’amiable, délivrer des diplômes, célébrer un mariage, publier certains éléments du droit en se basant sur des faits encodés, …

Le design technique même de la blockchain, les conditions qui sont requises pour valider un contrat revêtent donc, in fine une dimension éminemment politique.

Garantir l’application d’une politique (politique pénale, politique de développement territorial, politique économique bien-sûr, …-liste à compléter-)  pourrait se faire en s’appuyant sur cette technologie.  Un candidat aux élections serait finalement moins signifiant politiquement que la structure (le programme –sic-) sur lequel il s’appuie. La star, ce sera le codeur, l’écrivain-informaticien politique ! L’expression, écrire un programme politique va revêtir une nouvelle signification. Le citoyen, le territoire, le « peuple » devraient pouvoir se passer de quelques fonctionnaires.

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LA BLOCKCHAIN COMME NOUVEL ESPACE PUBLIC ?

Du politique au code, du code au territoire. La blockchain va-t-elle donc mettre sens dessus dessous nos vieux acteurs qui font des « transactions », comme le web l’a fait en révolutionnant le traitement de l’ « information »?

Oui, mais ce n’est pas la même chose que le web! Sur la toile, pas de certification sans certificats. On n’y prête pas souvent attention, mais notre web est parsemé de certificats, d’autorisations qui sont signées par des référents techniques, les fameux « tiers de confiance » (voir aussi : http://www.commentcamarche.net/contents/198-les-certificats ).

La blockchain promet de balayer cet obstacle par sa nature intrinsèquement ouverte et décentralisée. Si tous peuvent voir le livre et qu’il est inviolable, la confiance s’installe naturellement.

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La nature de la technologie crée le consensus. Quand un nouveau type de « livre de comptes » se crée il est adopté et utilisé ou pas. Les essais infructueux ou obsolètes sont finalement archivés et toujours présents. Absorbés en quelque sorte par la blockchain qui sera la plus largement adoptée par l’ensemble des utilisateurs. Une sorte d’arborescence en buisson.

Il y a aujourd’hui une explosion de blockchains. Certaines publiques (ouvertes et gratuites), d’autres payantes. (Voir aussi : http://www.paristechreview.com/2016/03/23/explosion-cambrienne-blockchain/ )

 

Certains états ont déjà saisi l’enjeu et mettent en place des premières mesures. La blockchain leur permet de lutter contre la corruption qui parasite certaines transactions. Ainsi, au Honduras on développe un nouveau cadastre foncier, l’Estonie offre des services notariés à ses citoyens, des start-ups proposent des cadastres-fonciers à toute l’Afrique, ….

Concrètement il y a déjà des applications-blockchain dans pas mal de domaines :

Registre comptable,

Transfert de biens et services,

Vote électronique,

Stockage de données,

Messagerie cryptée,

Contrats intelligents,

Enregistrement de nom de domaine,

Registre de documents légaux et brevets,

Produits dérivés financiers

Car oui, on peut déjà s’emparer de cette technologie pour se programmer un business. A propos des smart contracts que l’on peut déjà soi-même mettre en place : voir Ethereum, le projet qui veut devenir l’ordinateur global de tout-le-monde.

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De Freenet à Skynet
« On ne croit personne, seulement le système » ( M.Bauwens)

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On le sait, ce que l’on appelle l’ « internet des objets » est en pleine expansion. Voitures, frigos, services bancaires, … tout se relie et fonctionne grâce au cyberespace, aux protocoles en œuvre sur le Web.

De là à imaginer un monde cauchemardesque à la Skynet, il n’y a qu’un pas. On imagine déjà la pauvre femme de ménage à la merci d’une chambre d’hôtel cupide et autogérée via une blockchain qui ne serait qu’une personnalité commerciale et juridique « décentralisée » (c’est-à-dire partagée entre nous) et qui ne rapporterait de l’argent qu’à un gros malin qui aura su bâtir un petit empire sur les vides juridiques laissés dans l’intervalle d’un tsunami technologique mal géré (je ne vise personne, Marck Zuckerberg ).

 

 

Cet aspect prospectif du design social nécessaire de la technologie est en pleine ébullition. Afin de nourrir vos efforts d’anticipation, je vous renvoie aux travaux de la p2p foundation fondée par le belge Michel Bauwens, notamment à cet article où il évoque le danger de laisser le design de la technologie aux seuls appétits des financiers.

A cause de sa proximité avec le design anarcho-capitaliste et austro-économiste de Bitcoin, la blockhain participe d’une idéologie qui ne reconnaît pas le collectif, se méfie de la gouvernance démocratique, et veut créer des systèmes entièrement tournés vers des individus qui établissent entre eux des contrats automatisés par des algorithmes.

(..)

L’idée sous-jacente est que les individus sont séparés, et qu’ils font société en créant des contrats basés sur la confiance en un algorithme plutôt que dans l’humain.

(..)

Plutôt que de penser la blockchain comme un instrument économique global coupé de toute éthique et autonome par rapport à la société, on peut l’intégrer comme outil permettant de faciliter certains aspects de production et d’organisation dans des groupements d’humains dotés d’une gouvernance, de règles, etc,… comme les coopératives par exemple.

ENJEUX POLITIQUES DÉJÀ PRESSENTIS

On déplace la confiance en l’humain sur la techno. Les organisations qui certifient et centralisent des opérations vont s’effacer, pas la peine de rêver à un soudain miracle humaniste : ce qui peut être rationalisé sera rationalisé.

Dans les prochaines années, nous allons pouvoir nous passer de ceux qui sont dépositaires de la confiance nécessaire aujourd’hui au monde du commerce, au monde de la gestion des patrimoines et plus loin, à la gestion des territoires. (par exemple, concernant les droits d’auteur sur la musique : la blockchain va pouvoir apporter des solutions très concrètes et beaucoup plus fiables que les intermédiaires actuellement institutionnalisés )

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À long terme, ça nous conduit à une diversification des possibles « numériques » aujourd’hui déjà en place et à une explosion de nouvelles formes de « création » qu’il est encore difficile d’imaginer.

On a l’impression de découvrir Ethereum (l’ordinateur de tous qui permet d’écrire de smart-contratcs) comme l’on découvrait le moteur de recherche Altavista en 1996.  Vingt ans plus tard, regardons ce qu’est Google : une hydre dans nos vies. Et finalement ça passe presque tout seul, qu’est-ce qu’on ferait sans Google ?

ethereum

ENJEUX POUR LES ORGANISATIONS ET ASSOCIATIONS

Là où le commerce n’a qu’un but principal : faire de l’argent, en concluant une transaction avec l’objectif final de faire grossir le compte en banque (terme très bientôt obsolète sans aucun doute) ; il va être autrement plus compliqué d’énoncer les objectifs d’une transaction « socialement correcte ».

screen-shot

Ce sera là un des premiers challenges d’une gouvernance décentralisée. Cette effort de définition, cette dimension d’expertise du vivre ensemble et d’énonciation des buts à atteindre en tant que pays (région, commune, etc), c’est le champ de la Politique, tout simplement. Un champ qui se déploie invariablement dans un triangle d’acteurs : l’Etat(la collectivité gérée), le privé (les entreprises) et le citoyens (individus).

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En 2016, le jeu politique, les côtés du triangle, sont tracés par d’incessantes interactions entre ces trois pôles.

On imagine maintenant, grâce à la technologie blockchain que cet incessant flux de transactions pourra être automatisé en partie.

L’enjeu politique de la mise en code de ces transactions est donc majeur.

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En Belgique, le tissu associatif assez dense, bien que très dépendant du pôle « État », représente une spécificité dans le champ politique.  Il est dans pas mal de cas, celui qui fluidifie, celui qui effectue les transactions. Surtout entre le pôle « État » et le pôle « Citoyens ».

Chacun dans leur domaine, je pense aux CPAS, au Forem et aux associations comme PAC, Vie-Féminine, GSARA, etc … // Les abris de nuit, les associations d’aide aux sans-abris, prostituées, malades, femmes battues, i tutti quanti-asbl // Les opérateurs en alpha, les formateurs, les professeurs, … //  les administrations publiques, communales, etc … // les partis politiques en tant qu ‘équipes de nos représentants // les derniers journalistes en tant que garants d’une certaine fiabilité de l’information // ….

L’associatif est malheureusement plus rarement présent entre le pôle « Citoyens » et celui du « Privé » .

  • mis à part les syndicats qui sont là pour ça,
  • les OIFT dans une moindre mesure,
  • et toujours les politiques à qui l’on confie les cordons de la bourse collégiale

L’enjeu de la « mise en code » de nos transactions est donc finalement d’automatiser un maximum du travail aujourd’hui effectué par ces acteurs…

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(À ce stade de la réflexion, on ne peut  que déplorer, une nouvelle fois dans ces colonnes, l’absence d’une véritable approche du CODE dans l’enseignement, la justice, la politique et (dans une moindre mesure) la culture. Nous vous renvoyons aux anciens numéros, aux anciens articles de notre « Cause-Toujours »)

GOUVERNANCE

Cette perspective de voir les « responsabilités civiles », les « personnalités juridiques » être assumées par des programmes (comment se passera le « procès » d’un programme illégal ?) est assez vertigineuse.

Quelle sera donc notre approche du code en terme de gouvernance  ?

bitnation : ça existe déja en 2016 !!

En ce qui concerne les infrastructures -les tuyaux et les terminaux-, de nouveaux acteurs sont arrivés avec le web (les providers, les hébergeurs, Google, les internautes, …). Le droit traditionnel à dû s’y adapter et converser avec les quelques organismes qui avaient pris en charge les standards et le fonctionnement technique du web (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernance_d%27Internet ).

Pour le social, pour la confiance entre humains, au point de vue individuel : on souhaiterait une couche protocolaire spécifique, réfléchie. Les outils que le web nous a poussé à imaginer jusqu’à présent sont basés sur des critères de réputation, de méritocratie. Ce n’est pas grand-chose par rapport à ce qui existe en termes de droits des individus dans l’espace physique IRL.

Napoleon-zuck

Tout comme le web est aujourd’hui un territoire qui n’a pas encore été complètement « civilisé » par le pouvoir politique – législatif (loin s’en faut), on ne peut entrevoir correctement l’ampleur de la disruption à venir en appliquant simplement la grille de lecture de notre seul monde physique, IRL.

OUT OF CONTROL

En 1996 déjà, John Perry Barlow (Electronic Frontier Fondation) énonçait dans sa «Déclaration_d’indépendance_du_cyberespace» que « les gouvernements n’avaient pas la légitimité ni la capacité pour appliquer leur loi sur Internet et qu’Internet est à l’extérieur des frontières de n’importe quel pays. » Grande promesse de libération citoyenne par l’automatisation des truchements de nos informations.

Vingt ans plus tard, nous sommes plutôt concernés par les problématiques de surveillance généralisée par les gouvernements et les entreprises.

S’agissant de l’Internet, on se rappelle en 2011 le barnum qui s’était déroulé au E-G8 organisé par N.Sarkozy.   Deux visions de l’Internet s’y était accrochées. L’une commerciale et opportuniste, l’autre culturellement technophile et attachée aux valeurs du logiciel libre (qui rappelons-le, fait tourner une grande partie de l’Internet).  Le pouvoir politique de Mr Sarkozy ayant plus ou moins choisi son camp à cette occasion. Par affinités des hommes plus que par véritables convictions. (rappelez vous )

Pour faire contre-point à la posture du président français, rappelons peut-être au lecteur qu’en 2016, un des candidats à l’investiture pour la présidence américaine était Lawrence Lessig, véritable « gardien du temple » du camp technophile et d’une approche citoyenne de la politique.

Plus que jamais, l’approche citoyenne et les notions d’open-source et de logiciels libres sont politiquement liées ( voir nos précédents articles) !!

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CONCLUSION : CODE IS LAW

L’adaptation des règles du droit traditionnel aux dynamiques du monde numérique ne se fait pas sans peine. Neutralité du net, droit à l’oubli, uberisation, hyper-trading, droits d’auteurs, etc. Autant de champs qui sont aujourd’hui encore en friche.

A la veille d’une nouvelle révolution annoncée, on s’affole, on se documente, on réfléchit un peu puis on s’organise. Histoire ne pas répéter les erreurs du passé.

  1. Difficile dialogue entre la vision juridique et la vision technique
  2. Trop grande liberté du pôle « Privé » qui profite du vide ainsi laissé pour fonder des empires difficiles à contrôler.
  3. Appropriation citoyenne des techniques trop faible et inféodée à ces entreprises du logiciels.
  4. Enseignement du numérique à la ramasse.
  5. Réticence du pouvoir politique à avancer dans ces questions. En Belgique, c’est calamiteux.

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Comment s’emparer de ce nouvel environnement en respectant au mieux les principes qui nous sont chers : droits de l’homme et démocratie ?

La blockchain porte en elle des promesses de transparence, d’efficience, de collaboration, de liberté d’entreprendre (au sens très large), de démocratie décentralisée, …

Mais le combat aura lieu entre les tendances habituellement présentes dans la société. Regardez déjà ce qu’il se passe chez les développeurs d’applications dans le monde du bitcoin : core ou classic ? Chacun est sommé de prendre position !

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Même si elle fait beaucoup parler d’elle, nous sommes probablement dans le début de l’upcycle économique de la blockchain qui ne fonctionnera véritablement que dans 10 ou 15 ans. Je m’attends néanmoins à voir les premiers prototypes fonctionnels en 2017 ( M. Bauwens)
Appel :

Codeurs de gauche, il serait peut-être temps de penser à nos responsabilités.

Juristes de gauche, il serait peut-être temps de penser à nos codeurs.

Représentants de la société civile,  il serait peut-être temps de penser à la blockchain.

 

 

 

 

———–liens——

 

Comprendre la blockchain :

 

Expériences blockchain en cours

 

Bataille bitcoin, Core vs classic

Politique vs numérique, ça grince, ça forke

 

Citoyenneté et outils numériques

 

NDLR: En Belgique.

Vous écrire cette petite tranche de vulgate sur ce bazaar m’a demandé un petit effort de documentation. J’ai ainsi eu assez peu de temps pour explorer le web sur les traces de la blockchain belge. La plupart des sites en français proviennent de France et j’ai privilégié cette langue pour mon initiation au sujet. Cette plate justification faite, voici tout-de-même un résumé de  la recherche Google : « blockchain belgium » :

Les financiers sont dessus, même les plus encravatés, et ils flippent :

 

 

Il existe quelques groupes Facebook, tous plus ou moins à l’arrêt.

Quelques articles dans la presse. Les plus libéraux en premier :

 

Conférence, colloques

 Bernard Fostier