La décroissance : un sujet «  médiatiquement incorrect »

Carte blanche au Mouvement politique des objecteurs de croissance (mpOC)

Pour tous ceux qui naviguent dans le monde de la décroissance, deux évidences s’imposent d’emblée lorsqu’ils réfléchissent aux relations entre médias et décroissance. D’une part, ils constatent que la mouvance de la décroissance gagne du terrain. Le nombre de personnes intéressées par les propositions et les initiatives des objecteurs de croissance augmente en effet régulièrement. D’autre part, ils ne peuvent qu’observer que cette augmentation ne peut être attribuée aux « grands médias ». Ces derniers snobent largement tous leurs communiqués, cartes blanches, écrits d’opinion, rencontres et initiatives diverses, …, à l’exception de celles qu’ils peuvent caricaturer ou ramener au discours dominant. Pourrait-il en être autrement ? Les objecteurs de croissance ne le pensent pas. Ils constatent en effet que, sauf quelques exceptions éparses, les grands médias sont beaucoup trop préoccupés par leur audimat et par le fait de trouver une place dans la vague dominante pour oser poser les questions de fond sous l’angle porté par les objecteurs de croissance. Celui-ci est trop à contre-courant.

Quelques exemples :

800 personnes ont participé à la journée « Choisir la Décroissance » à la base du lancement du dispositif démocratique qui a mené à la constitution du Mouvement politique des objecteurs de croissance belges. Aucun grand media n’a pourtant jugé utile de répercuter cette information à l’exception d’ARTE (mais peut-on vraiment classer ARTE dans la catégorie « média dominant » ?), et, paradoxalement, de RTL-TVi qui a produit un documentaire dans lequel bon nombre d’objecteurs de croissance se sont reconnus. Cependant il faut bien dire que le producteur à la base de cette émission a dû quitter cette chaîne peu après. Quant à la RTBF, on l’attend toujours. Rendez-vous avait été pris pour un tournage un lundi début d’après-midi, contraignant bon nombre d’entre nous à prendre un congé professionnel. Après deux heures d’attente sans explication, nous sommes partis en relevant que la RTBF avait visiblement plus de considération pour un match de foot que pour nos idées. Il est vrai que le foot, lui, n’attend pas. Ce type d’exemples, on en retrouve partout et dans les médias de toutes obédiences. En France notamment. Hervé Kempf a dû – pour poursuivre son travail journalistique et de réflexion sur les questions environnementales, sociales et économiques- quitter le journal Le Monde, auquel il a collaboré de 1998 à 2013.

Depuis la crise économique, plusieurs des outils créés ou portés par les objecteurs de croissance ont connu quelques échos dans les grands médias. Mais ce n’était évidemment pas pour montrer que des alternatives au système actuel sont déjà en route dans les marges de la société. Il s’agissait juste de présenter quelques trucs à même de permettre à chacun de tenir un peu plus facilement le coup pendant la crise, grâce aux groupements d’achat, aux donneries, ou autres serviceries, … ou à ridiculiser les tenants de notre mouvance et plus particulièrement ceux de la simplicité volontaire, histoire de bien souligner qu’il n’y a pas d’alternative au système actuel. Seuls les fous ou les khmers verts peuvent y penser.

Les rares fois où l’on cite la décroissance dans sa généralité, c’est le plus souvent pour montrer qu’ « elle est à côté de la plaque », au moins en partie. La décroissance oublierait les pauvres, les populations du Sud, les possibilités technologiques, la question démographique … Jamais les grands médias n’ont répercuté ce que disent pourtant les objecteurs de croissance : la décroissance n’est pas un nouveau corpus idéologique tout pensé sous la houlette d’un nouveau grand gourou. Elle est un creuset dans lequel se pense et se construit la société de demain car le modèle actuel n’est pas durable et nous mène à la catastrophe.
Si les idées forgées dans le courant de la décroissance font du chemin malgré tout, c’est grâce à l’incroyable opiniâtreté de ceux qui en sont devenus les acteurs, généralement à partir de cette évidence – une croissance infinie est impossible dans un monde fini – et de cette question extrêmement complexe qui surgit dans sa foulée : mais comment dès lors peut-on faire pour vivre ensemble et de manière apaisée sur une seule planète ?

C’est aussi grâce – ou devait-on dire « à cause » ? – des faits qui ne peuvent plus être niés : les effets du réchauffement climatique commencent à se révéler ; le pic de production du pétrole est bien là, tout comme la perte hallucinante des ressources halieutiques. La question de l’eau devient une des préoccupations géopolitiques majeures, quand elle n’est pas une des raisons principales de mortalité dans le monde, … . La liste est longue, hélas très longue.
C’est aussi bien évidemment grâce au fait que les objecteurs de croissance utilisent tous les moyens à leur portée pour diffuser correctement leurs idées : réseaux sociaux et Internet, mais surtout maisons d’édition et médias propres, colloques et marches diverses, soupes populaires, foires aux savoir-faire, … . Ils s’inscrivent aussi dans des actions concrètes de terrain à travers les Villes et Villages en transition ou la création de monnaie locale, par exemple. Comme ils se méfient souvent des grands médias, ils évitent d’ailleurs souvent de s’y exposer lorsqu’ils n’y sont pas particulièrement préparés ou qu’ils n’ont pas confiance dans la manière dont leurs idées seront répercutées. On peut peut-être le regretter. Mais lorsqu’on voit la hauteur des caricatures, voire même des injures, que les objecteurs de croissance ont encore à subir aujourd’hui – y compris à gauche -, on peut parfaitement comprendre pourquoi beaucoup encore se maintiennent souvent volontairement à l’écart des médias du courant dominant.

Nous vivons un changement de paradigme aussi fort que celui de la révolution copernicienne. Nous subissons le même type d’ostracisme que ceux qui par le passé ont dû faire face au même type de situation. Nous aurions pu penser que, vivant dans une société plus évoluée, il n’en irait pas de même, d’autant que les faits parlent pour nous et qu’ils sont parfaitement étayés scientifiquement. C’est tout le contraire qui se passe. Les faits sont autant que possible niés comme on peut s’en apercevoir avec la place qui est faite aux climato-sceptiques et à ceux qui veulent nous vendre le pétrole et le gaz de schiste ainsi que du nucléaire de deuxième voire de troisième génération, comme solution à nos problèmes énergétiques.

Nos édiles politiques, soutenus largement par la sphère médiatique dominante, continuent, mesures après mesures, à vouloir poursuivre le contrat social à la base de notre société – à savoir tout faire pour augmenter la croissance économique de manière à pouvoir en partager les bénéfices – même si l’on sait déjà que ce contrat ne peut pas tenir la route encore bien longtemps et qu’il a suffisamment démontré depuis 40 ans son inopérance. Lorsqu’ils sont amenés partiellement à changer de trajectoire, comme on le voit aujourd’hui avec la question de l’approvisionnement énergétique ou encore celle de l’écoulement de nos productions alimentaires cultivées pour l’exportation (pommes, poires, lait, viande), c’est dans l’impréparation totale qu’ils doivent le faire.

Depuis la nuit des temps, les récits mythologiques nous montrent que les Cassandre ne sont jamais entendues. Nous pouvons dire aujourd’hui qu’il en est de même lorsque ce que l’on dit ne relève pas de la prophétie, mais bien de l’analyse des faits. Les corpus qui fondent un système ont la vie tenace car ils sont à la base des relations de pouvoir. En changer, ce serait devoir dire : nous nous sommes trompés. De cela, bien sûr, personne ne veut. La responsabilité, c’est toujours ailleurs qu’il faut la trouver, même si pour ce faire on doit aller jusqu’à tronquer les faits. À cet égard, l’imputation par certains de la responsabilité des risques de délestage énergétique de cet hiver aux partisans du renouvelable est particulièrement édifiante.
Ceci dit, nécessité faisant loi, nous ne désarmerons pas et poursuivrons le travail que nous avons entamé.

Pour le mpOC
José Dave, Bernard Legros, Michèle Gilkinet, Marie-Eve Lapy-Tries, Francis Leboutte et Eddie Van Hassel
Septembre 2014