Pour que survivent des Médias Pas Pareils… Partout

Pour de nombreux médias libres, journalistes de résistance et acteurs de l’éducation permanente, les médias dominants ne remplissent plus suffisamment leur fonction démocratique dans la société. Que faire ? En France, des médias non alignés, à but non lucratif, indépendants des pouvoirs publics, des puissances financières, des partis politiques et des obédiences confessionnelles ont décidé lors de la 3ème édition des « rencontres des médias libres et du journalisme de résistance », organisées en Corrèze les 23, 24 et 25 mai 2014, de se fédérer et de créer ainsi la Coordination Nationale Permanente des Médias Pas Pareils.

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« IMG_9035 » by London Public Library is licensed under CC BY-NC-ND 2.0

Rassemblant une trentaine de médias 1 issus des quatre coins de France, elle entend permettre au tiers secteur médiatique d’exister. Une initiative à saluer, à encourager – voire à étendre en Belgique, tant les médias indépendants, associatifs, citoyens, dits les Médias du Tiers Secteur remplissent des missions d’utilité publique et permettent de renouer avec les fondamentaux d’un métier ailleurs souvent oubliés : l’irrévérence, l’enquête, le goût du débat, l’émancipation citoyenne,… L’avenir des médias, leur capacité à regagner de la crédibilité, leur indépendance et leur capacité à renouer avec leur indispensable fonction démocratique, dépassent largement les intérêts d’une corporation et nous concerne tous.

Nous avons discuté avec Michel Gairaud du mensuel marseillais d’enquête et de satire, Le Ravi, qui a joué un rôle moteur dans la Coordination Nationale Permanente des Médias Pas Pareils. Il est la preuve vivante que le système médiatique lui-même est aussi un terrain de lutte et d’alternatives.

Comment définiriez-vous les Médias Pas Pareils ?

Grande question ! On entend par là des médias indépendants, qui appartiennent à leurs lecteurs ou aux équipes qui y travaillent. Mais ce n’est qu’un élément de définition. Il y a l’approche aussi : on ne peut pas vraiment parler de ligne éditoriale unique mais il y a une façon aussi de concevoir le métier, même s’il y a beaucoup de diversités, surtout si on parle des médias et pas seulement de la presse. Même si certains essaient de trouver des ressources, le but n’est pas d’enrichir un actionnaire, mais de faire vivre un projet et de renouer avec des fondamentaux d’une profession qui sont par ailleurs délaissés, à savoir l’enquête, l’investigation. Finalement, faire du journalisme tel que tout le monde devrait le pratiquer, c’est ne pas faire pareil aujourd’hui.

Les Médias Pas Pareils revendiquent notamment l’élaboration démocratique d’une loi contre la concentration financière et industrielle des médias et la refondation du système des aides à la presse et aux médias. Forts de la création de la Coordination, quels sont à l’avenir vos moyens d’action ?

Il y a plusieurs aspects. Disons, pour simplifier, que nous faisons partie des gens qui considèrent – même si ça peut paraître paradoxal – que la presse et les médias indépendants ont besoin d’une reconnaissance institutionnelle. Certains titres et projets refusent par principe toute ressource publique au nom de l’autonomie. On peut comprendre le raisonnement mais pour nous, il n’est pas illégitime. On estime qu’en France, la liberté d’informer et d’être informé fait partie de la constitution et donc, d’une certaine façon, on estime faire un travail de service public.
Entre le service public qui a ses vertus, son utilité et le secteur privé, il y a un intermédiaire : le tiers-secteur médiatique. Ce qui est illégitime et qui dysfonctionne en France, en particulier, c’est la façon dont les aides publiques sont réparties. Il y a par exemple une aide au postage pour la presse mais elle est indifférenciée c’est-à-dire qu’un journal à scandale est autant aidé qu’un canard associatif comme le nôtre.

Le souci vis-à-vis de l’argent public, c’est qu’il y a un danger auquel tous les médias sont confrontés y compris les nôtres, c’est celui de l’instrumentalisation politique où, à partir du moment où une collectivité par exemple locale, une mairie, un département, une région, donne de l’argent à un média, il attend souvent un retour. Il faut donc faire attention.

Mais ce n’est qu’un aspect. Nous sommes dans Coordination Nationale Permanente des Médias Pas Pareils mais nous avons aussi créé une association « Média citoyen » qui fédère ces Médias Pas Pareils à l’échelle de la région PACA (sur le modèle d’une expérience qui a déjà eu lieu en Rhones-Alpes). L’objectif est d’apprendre à se connaître, à identifier nos points communs, à travailler ensemble, à s’accorder sur des revendications communes, à mutualiser nos idées, nos efforts et à se donner de l’audience parce que nous ne sommes pas des médias de masse. Nous sommes des médias de proximité et nous le revendiquons ! Nous pensons de façon horizontale et non pas verticale. Il faut se mettre en réseau. Les Médias Pas Pareils peuvent peser lourd en se fédérant. Même si c’est très lent parce que nous sommes pris entre deux feux : une envie de se serrer les coudes d’une part et des pratiques spécifiques et une culture un peu « chacun dans son coin » et de la débrouille d’autre part. Ce n’est pas évident. Nous sommes tous la plupart du temps dans des logiques de survie. Mais depuis deux ou trois ans, je ressens quelque chose qui monte, une envie de se retrouver, de se fédérer. Autrefois, il y avait des frontières parfois difficilement franchissables entre ceux qui acceptaient la pub et ceux qui ne l’acceptaient pas du tout, entre ceux qui acceptaient de l’argent public et ceux qui n’en voulaient absolument pas. Aujourd’hui, nous arrivons vraiment à nous parler, à nous retrouver et ça, c’est un signe que quelque chose est mûr !

Vous revendiquez également la représentation des Médias du Tiers Secteur dans toutes instances de régulation, de concertation et de gestion concernant les médias.

Oui effectivement, nous allons essayer d’avancer et de créer un rapport de force. Il existe plein d’endroits où nous n’existons pas et où nous pourrions exister ; comme le CSA ou le Ministère de la Culture et de la Communication qui régule beaucoup de choses. Le système de la diffusion de la presse en France est en crise. Il y a une volonté de le réformer mais elle va toujours dans le même sens, c’est-à-dire en déréglementant, au détriment du pluralisme.
Mais nous ne nous faisons pas trop d’illusion. Ça va prendre du temps. C’est à l’image de l’État, du mouvement social et de la donne politique dans le pays.

Que vous inspire la Loi sur les services de communication audiovisuelle promulguée en Argentine en 2009 ? Celle-ci redistribue la propriété des fréquences de radio et de télévision en trois tiers : 33 % pour les entreprises privées, 33 % pour le service public et 34 % pour les médias communautaires/associatifs.

Ça s’inscrit tout à fait dans notre volonté. Je fais le parallèle avec le réseau des salles de Cinéma Art et Essai où certains exploitants bénéficient d’une fiscalité avantageuse ou d’aides directes pour faire vivre la diversité sur tout le territoire. Je pense qu’il faut aller vers ça ! Si nous laissons faire, nous allons vers un appauvrissement. Il y a quelques années, il y a eu des batailles souvent perdues par des chaînes locales sur l’attribution des fréquences. Il existe tellement de télévisions aux programmations intéressantes qui font entendre une voix, des solutions et avec des processus participatifs. Même quand elles se regroupent, c’est très difficile. Ce serait bien qu’il y ait une volonté politique pour encadrer et réglementer tout ça.

Lors des rencontres des médias libres et du journalisme de résistance, vous avez notamment discuté de la difficulté pour l’écologie à se frayer un chemin dans la pensée dominante du journalisme actuel. Pourriez-vous en dire davantage ? Les enjeux environnementaux sont-ils mal et/ou peu médiatisés ? Voulez-vous dire que l’écologie ne fait pas vendre ?

Les questions d’écologie sont très présentes dans nos colonnes mais elles font rarement la Une dans les autres titres et en particulier dans la presse régionale en particulier. C’est encore une fois lié à la question « à qui appartiennent les médias ? » et de la dépendance à la publicité. Quand on pose ces questions-là, on remet en cause l’ordre économique et politique du monde. Pour avoir de la pub, il faut formater, ce qui est fort incompatible avec un travail sur ces enjeux-là. Au Ravi, nous sommes dans une économie de survie. Même si nous avons plein de projets, nous ne savons jamais très bien quelle sera la situation dans an voire même parfois un peu moins. Nous acceptons de la pub mais c’est la pub qui ne nous accepte pas ! Mais en même temps, ça nous protège ! Pour pouvoir ne bénéficier, il faut parler des choses qui ne clivent pas et lisser les contenus. Il y a un risque de s’encroûter et de se rouiller rapidement.


Propos recueillis par Julie Van der Kar

1. [Acrimed, À Contre Courant, Adiu Sud Gironde, Adiu TV, BateauBasta, Basta Mag, Cassandre/Hors Champs, CDRLP, Cram Cram Editions, Demosphere Ariège, Fakir, Friture Mag, L’Insatiable, Le Ravi, La Lorgnette.info, La Lettre à Lulu, Le Nouveau Jour J, Les Amis de la Cathode, Le Sans Culotte 85, Le Lot en Action, Les Pieds dans le PAF, Lutopik, Michel Fiszbin, Hexagones, Pierre Merejkowsky, Plus Belles les Luttes, Rézonances TV, Reporterre, Rencontres Médiatiques, Ritimo, Denis  Robert, Sisyphe Vidéo, TV Bruits, ZdF, Zélium.]