Composée de six antennes régionales, la webradio E-joussour est la première radio associative-communautaire au Maroc. En attendant un accès aux ondes hertziennes qui leur est actuellement interdit, les associations membres de cette radio œuvrent à promouvoir sur la toile l’éducation aux droits humains, la culture environnementale et altermondialiste. Peu à peu E- Joussour devient le symbole d’une société marocaine en transition, ce qui a intrigué quelques reporters en herbe bruxellois…
« C’est incroyable. On est enfin diffusés sur les ondes », sourit Younes Abba, responsable d’Action Jeunesse Marrakech, association membre d’ E-joussour. « Bon, on est sur les ondes belges, mais sur les ondes quand même », poursuit-il. Accoudé au bar du Riad Sirroco à Marrakech où quelques jeunes belges et marocains se sont réunis pendant une semaine pour réaliser une émission, il écoute le résultat sur Radio Panik diffusé pour l’occasion dans tout l’établissement.
Quelques semaines plus tôt, dans le cadre d’un atelier radio du GSARA Bruxelles, Asmae, Zaineb,Gwen, Brahim et Isabelle, jeunes bruxellois passionnés par les médias, interviewaient Imane Bounjara, chargée du plaidoyer pour la reconnaissance juridique des radio associatives au Maroc. « Initialement, E-Joussour est le portail de la société civile dans la région du Maghreb-Machreb », leur raconte-t-elle par téléphone dans les studios de Radio Panik. «Né en 2004, il s’est rapidement développé pendant le printemps arabe en soutenant les vagues de protestations dans différentes régions. C’était un excellent moyen de communication pour les associations. Par la suite il a donné naissance à une webradio. Il faut savoir que les radios communautaires ne sont pas reconnues au Maroc et n’ont pas accès aux ondes hertziennes. Nous militons pour que cela change. Parce que vu le taux d’analphabétisme et la fracture numérique au Maroc nous ne toucherons qu’une minorité de gens tant que nous resterons sur le web. D’un autre côté, nous ne sommes pas limités géographiquement en étant diffusé en ligne».
Le fonctionnement de la webradio est simple. « Chaque antenne régionale est animée par
une ou plusieurs associations issues de la société civile marocaine », explique Imane Bounjara. « Elles alimentent la grille des programmes avec des émissions sur des thèmes qui concernent leur champ d’action. Cela peut aller de la sensibilisation aux droits des personnes handicapées à l’éducation à l’environnement en passant par la promotion de l’égalité homme-femme ». Et lorsqu’on lui demande la nature des rapports qu’elle entretient avec les médias traditionnels au Maroc, elle affirme qu’ils sont très positifs. « Aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire qu’il faut une ouverture du paysage audiovisuel marocain. Notre plaidoyer a même été appuyé par l’association des radios commerciales. Il faut que la loi change afin de garantir la liberté d’expression des citoyens ».
Malgré un financement de l’Union européenne dans le cadre du programme « Médias communautaires : pour une information citoyenne », les émissions d’ E-joussour se font encore avec des bouts de ficelle. Une petite table de mixage, quelques micros et un ordinateur suffisent à enregistrer des témoignages ou à raconter l’actualité de la société civile. Les jeunes bruxellois ont quant à eux apporté quelques enregistreurs dans leurs bagages. Le temps de mettre le matériel en commun, le travail de terrain peut commencer. Au terme d’une semaine de rencontres, d’échanges et de dur labeur, l’émission est mise en boîte et envoyée à Radio Panik. Elle sera diffusée simultanément sur la radio bruxelloise et sur E-joussour, rapprochant un peu plus grâce aux ondes les deux pays et provoquant une fierté difficile à cacher sur les visages des participants.
L’occasion est trop belle et le projet est tellement fort qu’à peine le temps de dire « Yallah », nos cinq bruxellois s’envolent pour Marrakech, prêts à bosser dur pendant une semaine pour réaliser une émission en partenariat avec une dizaine de jeunes membres de la webradio, le tout encadré par l’équipe du GSARA Bruxelles. Réunis dans un Riad un peu à l’écart de Marrakech, les quinze jeunes participants décident de se pencher sur la discrimination au Maroc. Celle subie par les jeunes trop souvent oubliés par le monde politique. Celle subie par les femmes, victimes de viols ou totalement ignorées dans les questions d’héritages familiaux. Et enfin celle subie par les différentes ethnies qui doivent faire face au racisme ambiant.
« En rencontrant les jeunes d’ E-joussour je suis tombée du haut de mon confort occidental », témoigne Asmae, bruxelloise de 22 ans. « Constater les ambitions qu’ils ont avec aussi peu de moyens techniques m’a permis de me remettre en question quant à des projets menés ici en Belgique dans une démocratie dont rêvent les jeunes que l’on a rencontrés. Ils ont des compétences qui ne demandent pas mieux que d’être exploitées et ils participent aux changements de la société du mieux qu’ils peuvent ». Pour Zaineb, 20 ans, travailler avec la webradio a changé sa vision du Maroc. « Alors que j’ai des origines marocaines je n’avais aucune idée de cette réalité. Quand on rentre au pays durant quelques jours on regarde la chaîne 2M et on ne se préoccupe pas vraiment des problèmes de société qui y règnent. Travailler avec E-Joussour et le GSARA était une très bonne expérience. J’ai pu me rendre compte de la situation des médias là-bas. J’ignorais qu’ils y étaient encore très cadenassés et contrôlés ! ».
Pour aller plus loin :
www.radio.e-joussour.net
Retrouvez l’émission réalisée à Marrakech ainsi que l’interview complète d’Imane Bounjara sur :
www.gsara.tv/bruxelles (atelier Reporters Tout Terrain).
Thibault Coeckelberghs et les Reporters Tout Terrain