Rencontre avec Felipe Sandoval

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Né au Chili en 1982, Felipe Sandoval a étudié le cinéma en Belgique. Au sortir de ses études, il travaille comme réalisateur pour un projet audiovisuel dans une ASBL à Bruxelles. Avec Que reste-t-il… ?, il signe son premier documentaire indépendant. Un film qui parle d’amour, de sexualité et de la solitude en maison de repos.

Quel fut le point de départ du film ?

J’ai commencé à travailler en 2010 dans une association de service à domicile pour personnes âgées. Il y avait un projet audiovisuel autour de la collecte des récits de vie. Il s’agissait d’aller chercher les témoignages de seniors. L’idée était de valoriser le récit, de le collecter et de réaliser un petit film qu’on donnerait aux personnes interviewées pour qu’elles puissent le montrer à leurs voisins et à leur famille. Elles étaient très fières du résultat. Petit à petit, j’ai essayé d’introduire des notions de réalisation et d’en faire un film documentaire. Un jour, on a entendu parlé de couples qui s’étaient formés à la résidence du CPAS de Watermael-Boitsfort. On a voulu en savoir plus et nous sommes partis explorer ce lieu. Je me suis dit qu’il y avait là la possibilité de réaliser un film sur l’amour en résidence et sur la question : Comment les résidents vivent-ils la relation de couple ? Le tournage a débuté en mars 2012 et il a duré environ six mois.

Quelle était l’intention du film ?

Pour moi, il ne s’agissait pas de faire un bilan sur les homes ou sur les conditions de vie en résidence. Je voulais montrer non seulement des histoires d’amour mais aussi la solitude dans ce milieu-là. La plupart des résidents sont tristes, on les sent déracinés. On les a placés dans un home et ils culpabilisent. Très souvent, ils sont tombés, ils se sont cassé quelque chose et ils ne peuvent donc plus rester tout seul. Ils se répètent : « si je n’était pas tombé, je serai encore chez moi, je ne serai pas ici ». Ils attendent toujours d’aller mieux pour retourner chez eux. Très peu se dise, “voilà, je vais finir mes jours ici, essayons de faire au mieux”, comme Tina et Claude qui se sont rencontrés en résidence. La volonté était vraiment de se focaliser sur des personnes et non pas sur les institutions. Je ne voulais pas faire un docu-reportage sur les maisons de retraite.

Comment avez-vous trouvé vos personnages ?

Pour ce film, on a vraiment cherché des personnages, on a fait un gros travail de repérage. On est tombés sur le couple Tina et Claude. Ils nous ont séduits. On a ciblé plusieurs couples-types : un couple qui est arrivé ensemble, un autre qui s’est formé en résidence comme Tina et Claude. On a aussi filmé des personnes seules comme Angel et Jean-Baptiste qui avaient des avis et des attentes complètement différents. Par exemple, Jean-Baptiste cherchait toujours une partenaire. Angel était l’exemple-type de ceux qui sont malheureux. Néanmoins, au fur et à mesure qu’on parlait avec elle, on se rendait compte qu’elle avait un côté coquin. Elle rigolait aussi, elle ne faisait pas que pleurer. Lors du montage, j’ai voulu la faire évoluer et montrer que tout n’est pas noir ou blanc. Il y a des nuances. Il était important de ressentir ce qu’elle était réellement. Un jour, elle pouvait être très joyeuse, parler et rigoler avec les autres. L’autre jour, elle était complètement seule et voulait juste retourner chez elle. On cherchait des personnages, ceux qu’il fallait pour l’histoire que je voulais raconter.

Comment s’est déroulée l’introduction de la caméra dans le home ?

Il faut savoir l’introduire, il faut se faire tout petit. J’agissais de la sorte pendant les repérages. Je prenais la caméra et je prenais des photos. Ensuite, j’amenais le pied et je faisais des tests. Je testais les lieux, la lumière aussi. Au bout d’un moment, ils étaient complètement habitués. Ils nous faisaient confiance. Ils savaient qu’on allait faire un film.

C’était un choix de ne pas interviewer les aides-soignantes ?

Oui c’était voulu. J’ai fait des interviews des aides-soignantes mais je ne voulais pas les mettre dans le film. Ces interviews étaient juste pour nous, pour comprendre comment elles voyaient les choses. Je voulais vraiment donner la parole aux personnes âgées. Je ne voulais pas donner cet aspect reportage avec l’idée d’aller explorer la vie sexuelle des seniors. Ça ne m’intéressait pas. Je voulais que ça soit eux qui racontent les choses.

Afin de traiter de manière globale du thème de l’amour, n’est-il pas nécessaire d’investir d’autres maisons de retraite ?

Dans toutes les maisons de repos, tu rencontres les mêmes personnages. Pour moi, le plus important c’est la rencontre humaine. Évidemment, il faut se renseigner. J’ai beaucoup lu sur le sujet de la solitude, sur l’amour et sur les personnes âgées. Lorsque tu vas dans une école, tous les gosses sont à peu près les mêmes mais il faut aller voir à l’intérieur pour trouver les personnages. C’est ça qui m’intéresse, c’est la rencontre avec les personnages.

Bien que le film ne soit pas une analyse critique des maisons de retraite, quel est votre point de vue personnel après avoir investi ce milieu ?

Partir en maison de repos est la pire chose pour les personnes âgées. Je comprenais le contexte mais c’est seulement lorsque tu y es plongé que tu t’en rends compte. Quand tu découvres le lieu, tu vois que tout le monde est triste autour de la cheminée et ne bougent pas. Petit à petit, tu commences à trouver de la vie. Tu vois cette vie se construire. Certes, tu les vois bouger lentement mais ils bougent tout de même. Petit à petit, ça se construit. Je ne voulais pas faire une critique de la maison de repos car ce n’est pas de leur faute s’ils ne se sentent pas comme chez eux. Tout est mis en place pour qu’ils se sentent bien. Dans le film, certaines voient cette résidence comme une résidence accueillante et d’autres pas. C’est ça qui me plaît. Je veux laisser les spectateurs décider par eux-mêmes. Je ne suis pas là pour juger et j’ai vraiment fait attention de ne pas pousser le regard d’un côté ou de l’autre. Malheureusement, les résidents, ne vont jamais se sentir comme chez eux. Mettre des personnes âgées ensemble, ça les tue plus vite. Dans une société, il y a des gosses, des seniors et c’est ça qui fait la vie en général. Eux, ils sont enfermés là et ils ne côtoient que des personnes de leur âge. Ils sont ravis à chaque fois qu’il y a un jeune qui passe. Aussi, il existe de plus en plus d’initiatives pour amener des chiens dans les maisons de retraite. Ils ont besoin de ça. Le problème se pose lorsque l’on met que des personnes âgées ensemble, c’est triste, c’est la fin de tout. Il devrait y avoir un moyen de mixer un peu les générations, d’aller vers quelque chose d’intergénérationnel.

Il y a cette scène du film Home Sweet Home de Benoît Lamy. Il s’agit là du film dans le film….

Oui c’est tout à fait ça ! Je voulais qu’ils se regardent eux-mêmes. J’ai voulu faire un hommage à ce film car il m’a beaucoup touché, c’est un film très juste. Le film date des années 1970 mais est toujours d’actualité. Certes, les conditions ont changé, les résidents sont mieux soignés. Par contre, certaines choses restent les mêmes. Par exemple, j’ai lié les deux séquences du repas car elles sont très similaires. C’est pratiquement la même chose, ça ne change pas.

Le titre du film, Que reste-t-il…?, est une référence à la célèbre chanson de Charles Trenet. Il pose aussi plusieurs questions sur la fin de nos vies.

La chanson m’a beaucoup inspiré pendant le tournage, pendant la construction du film. Elle était présente dans ma tête avec cette question : que reste-t-il à la fin de nos jours quand on est seul ? Est-on encore capable de trouver l’amour ? Cela me semblait être un titre très nostalgique car il y a une nostalgie présente dans le film, surtout à la fin. Je voulais absolument ça. Je voulais cette ambiance pour qu’on se mette aussi un peu à la place de ces personnes. Au plus les personnes sont âgées lorsqu’elles regardent le film, au plus elles s’identifient aux histoires des protagonistes. Elles se demandent si elles auront encore toute leur tête et se posent les questions suivantes : Est-ce qu’on va me placer ? Si je perds mon partenaire, que va-t-il se passer ? Je voulais créer cette identification. Je voulais qu’on se sente un peu avec eux. Le film ne parle pas juste d’une histoire d’amour. Cela va bien plus loin. On parle de la solitude, de l’envie de vivre la fin de nos jours, de la maladie.

Est-ce que ce sujet est de plus en plus abordé dans le documentaire ?

Il y a beaucoup plus de personnes âgées aujourd’hui qu’avant. Leur place dans la société pose des questions. La population vieillit de plus en plus et les institutions ne sont pas adaptées. Je trouve aussi que les personnes âgées ont une manière spécifique de parler des choses. J’avais déjà réalisé deux courts-métrages sur les seniors. Le destin a fait que je sois tombé dans cette association et que j’ai une sensibilité particulière avec cette thématique. J’ai aussi envie de changer de sujet car c’est très dur de travailler là-dessus. Au bout d’un moment c’est tout de même difficile. On voit beaucoup de personnes mourir. En tant que réalisateur ce n’est pas facile. On doit s’attacher aux personnes que l’on filme et en même temps garder une certaine distance. C’est une relation assez complexe.

Propos recueillis pas Aurélie Ghalim

 

Réalisation : Felipe Sandoval
Image : Christophe Beauprez – Felipe Sandoval
Montage : Felipe Sandoval – Susana Rossberg
Montage son : Loïc Villiot
Mixage : Loïc Villiot
Etalonnage : Cyril Conforti

Durée : 48’
Genre : Documentaire
Langue VO : Français
Format : DCP
Date de production : Avril 2014

Produit par Artefacto Films
En coproduction avec L’Atelier de Production GSARA
Avec le soutien de Hélicotronc