Femmes et métiers du cinéma : billet d’humeur rempli de questions et teinté de contradictions

Les mêmes constats sont courants dans les médias, allant de la presse traditionnelle à la blogosphère, pour dire (et parfois même dénoncer) les rôles de femmes trop «  clichés  » qu’offre le cinéma. On ne va pas s’épancher ici sur le fait que ces mêmes médias feraient bien de commencer par balayer devant leur porte (oui, bon, OK, on tend vers un mieux, mais pas encore vers un idéal — on en reparlera quand «  l’expert moyen  » ne sera plus un homme blanc d’une petite cinquantaine d’années. Je vous jure ça existe : expertes.eu). Pas la peine non plus de détailler à quel point ça sucks que pour les réalisateurs, les femmes sont soit infirmières, soit secrétaires. Pour ça, je vous renvoie à l’étude de Five Thirty Eight. Niveau chiffres on est bon, on est servi et puis soyons francs, même si on ne pouvait pas faire ce constat à la virgule près, la tendance est si lourde qu’on ne peut pas faire semblant de tomber des nues non plus.

Derrière ces chiffres, d’autres (pseudo) constats, mais surtout plein de questions. Et si vous attendiez des réponses, vous pouvez arrêter de lire tout de suite, il n’y en aura pas (ou vraiment très très peu). J’aimerais vraiment que maintenant que ce travail quantitatif a eu lieu, on s’intéresse aux causes et aux conséquences sans perdre de temps à se féliciter du chemin déjà parcouru (n’abusez pas, vous avez regardé plein de films pour remplir des tableaux Excell).

Misogynie ordinaire, paternalisme insidieux et clichés sexistes n’ont pas déserté les plateaux de cinéma

Première question, qu’on répétera comme un enfant de 5 ans dès qu’on aura un début de réponse  : «  Pourquoi ?  ». Les causes sont certainement multifactorielles, mais il me semble judicieux d’aller voir derrière la caméra pour commencer. Si des études existaient déjà en Amérique, au Canada ou en Grande-Bretagne, celle de Engender et de Elles Tournent sur la Fédération Wallonie-Bruxelles viennent confirmer ce qu’on avait déjà pu observer ailleurs  : les étudiantes sont présentes à parts égales (voire en majorité) dans les écoles de cinéma et largement minoritaires quant il s’agit d’exercer les métiers du 7e art (sauf pour les scriptes, tous les détails ici).

Mais… (roulement de tambours)… pourquoi ? Par manque d’exemples, de modèles de référence ? J’ose espérer que ça ne s’arrête pas à cela, sinon on va encore s’en coller pas mal des secrétaires un peu con au décolleté plongeant. Elles sont certainement plus d’une à avoir essayé de briser ce cercle vicieux. Peut-être alors que les femmes se raréfient au cinéma parce qu’elles reçoivent de moins grosses sommes lorsqu’elles sont soutenues (pourquoi ?) et qu’au bout d’un moment on n’a pas envie de bouffer des pâtes toute sa vie. C’est en tout cas une question sur laquelle Madame Simonis (Ministre de l’Égalité des chances à la FWB) et sa collègue de la Culture, Alda Greoli, devraient se pencher. Pas simplement parce qu’il serait temps que le grand écran cesse de véhiculer des stéréotypes de genre complètement dépassés, mais aussi et surtout parce que c’est d’argent public dont il est question ici au travers des différents guichets de soutien. Peut-être qu’il ne faudrait pas faire mention du genre (ou tout autre indicateur qui induirait une piste, comme le prénom  ?) dans les dossiers déposés en commission ? Histoire que chacun ait les mêmes chances et que ce soit les projets et uniquement les projets qui soient pris en compte.

Tu disparais si tu ne joues pas le bon rôle

La situation actuelle a donc malgré tout, certainement un petit effet sur les femmes qui travaillent dans le cinéma, car elles manquent de modèles de réussite auxquels s’identifier. Comment alors garder la motivation et susciter des vocations ? Mais je pense surtout que cette sous-représentation est dommageable pour le public qui se retrouve face à l’écran. Le cinéma est un art populaire et doit à mon sens le rester. Kevin Spacey, Russell Crowe, Sean Penn ou encore Matthew McConaughey, aussi bons acteurs soient-ils ne sont pas représentatifs de notre société. Les grands rôles écrits pour un autre profil que le mâle de 30-40 ans WASP à souhait ne sont pas légion (bien que des exceptions très encourageantes viennent confirmer la règle). Le médium cinématographique est susceptible de forger durablement nos représentations et notre imaginaire. Il serait donc bon de veiller à ce que l’imaginaire collectif ne soit pas trop phallo-occidento-centré (oui j’invente des mots !) et que nos bons vieux blockbusters passent au moins le Bechdel. Je dis ça surtout pour que les gens arrêtent d’être choqués de voir des femmes (de couleur, le cumul !) faire des métiers techniques ou à des postes de direction à responsabilité dans la vraie vie. Et que les jeunes filles ne s’empêchent pas de faire polytech parce que c’est «  clairement  » une filière d’hommes. Parce qu’en fait, vous savez, les femmes sont des hommes comme les autres.

Tout ça pour dire…

Tout ce blabla pour dire que, de mon point de vue, tout ce qui ressemble de près ou de loin aux quotas m’attriste. Mais puisque les répartitions ne se font pas plus naturellement, c’est encore ce qui existe de moins pire. En fait, je m’en fous pas mal de savoir si c’est une femme ou un homme qui a écrit le scénario et qui tient la caméra. Je voudrais simplement que le cinéma m’offre une pluralité de points de vue au lieu de propager des clichés sur les rôles de genre (et tous les autres clichés aussi hein tant qu’à faire !). Cessons également d’être manichéens, il n’y a pas que de bonnes réalisatrices qui luttent contre les stéréotypes et de mauvais réalisateurs qui les colportent.

L’autre raison pour laquelle toute cette discussion autour des répartitions et des quotas me file de l’urticaire, c’est qu’on est en 2016 FFS et que je pensais qu’on allait enfin pouvoir considérer le genre (et l’identité en général) comme un spectre sur lequel chacun peut se situer où il veut, être à plusieurs endroits à la fois si ça lui chante et bouger quand ça lui dit.

Je clôture ici cette bien maigre réflexion (dé)construite au fil des caractères qui a plus pris l’apparence d’un billet de (mauvaise) humeur. Tout apport – commentaire, lien, étude… – de votre part est plus que le bienvenu. Il est maintenant temps pour moi de chercher une salle obscure qui projette Divines d’Houda Benyamina, un film qui a du clito !

Maureen Vanden Berghe