La métallurgie au coeur d’un festival citoyen

« On pourrait croire que la culture populaire a été réduite à néant par l’envahissement des industries du divertissement… Pourtant des citoyens de toutes origines, issus de toutes classes sociales ont envie de dire, de faire partager leurs joies, leurs peines, leurs visions du monde, de parler de leurs passés, présents et   futurs. Et quand ils font appel à des artistes pour les aider à mettre en forme leurs idées, le monde culturel a le devoir de leur répondre, d’être à leur service, pour aller plus loin grâce à l’apprentissage de formes nouvelles pour eux ».

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Une semaine d’événements sociaux et culturels, mais une année de préparation pour construire, créer, s’exprimer et partager… La cinquième édition du festival MAI’tallurgie s’est déroulée à Marchienne, dans la région carolorégienne, du 20 au 29 mai 2016. Dany Baudoux et Anne-Marie Faticati, deux des organisatrices de l’événement, nous parlent de ce projet qui réussit à rassembler les citoyens et l’art.

Naissance du festival

En 2001, dans le cadre de la Politique des Grandes Villes, de nombreux projets intégrant le domaine public dans les quartiers se sont développés dans la région carolorégienne, et le CPAS de Charleroi a ouvert son premier Espace citoyen à Marchienne, l’Espace citoyen Porte Ouest. Divers groupes de concertation thématiques ont rapidement été créés au sein de cet espace public, des groupes relatifs à l’éducation, à la culture, à l’emploi et au logement. Le groupe « culture » était composé de tous les opérateurs culturels de la Porte Ouest : le Théâtre de la Guimbarde, le Centre d’expression et de créativité Couleur Quartier, l’asbl Avanti, l’atelier théâtre d’action citoyenne Créa d’Ames, le Rockerill, etc. Est née une effervescence entre tous ces acteurs culturels et a été créée en 2005, par des citoyens de l’Espace public Porte Ouest, une pièce de théâtre, « Pâtes, rata, etc. » racontant l’histoire de l’immigration italienne et, plus particulièrement, des épouses qui venaient retrouver leur mari travaillant dans les mines de Marchienne.

Les différents établissements scolaires de Marchienne, qui participaient au groupe de concertation relatif à l’éducation, ont emmené leurs élèves voir la pièce de théâtre. Suite à cet événement, de nombreuses questions et réflexions ont été initiées par les jeunes : finalement, qu’est-ce qui nous rassemble, ici, à la Porte Ouest ? La métallurgie ! Les usines, les péniches, les voies d’eau, la multiculturalité des personnes venues de l’étranger pour travailler dans les mines, etc. Cette réflexion s’est répandue dans les autres groupes de concertation de l’Espace citoyen de Marchienne et a provoqué au sein du groupe « culture » l’envie de réaliser un projet commun autour de la métallurgie.

C’est ainsi qu’est né, en mai 2008, le premier festival MAI’tallurgie, permettant à chaque acteur culturel de Marchienne de créer quelque chose avec son public – des pièces de théâtre, des sculptures, des photographies, des costumes, des peintures, etc. – en lien avec la métallurgie, au sens large.

La particularité du projet MAI’tallurgie est qu’il se passe en deux temps : un temps de création et un temps de monstration. Ainsi, pendant un an, les citoyens, encadrés par les acteurs culturels de la Porte Ouest et des artistes professionnels, imaginent, créent, produisent lors d’ateliers réguliers ouverts à tous. Ensuite, pendant une semaine, c’est la conclusion des projets, c’est l’apothéose. On arrête, on fige, on rassemble tout ce qui a été créé dans un lieu précis : les réalisations sont exposées, les spectacles sont joués, etc. Dans cette longue aventure, la phase de création est essentielle car elle implique les gens et leur donne la parole.

Enjeux du festival à travers l’histoire de Marchienne

Il est ici intéressant de revenir sur l’histoire de Marchienne et le contexte dans lequel prend place et prend sens le festival MAI’tallurgie.

D’après Dany Baudoux, « quand on traverse Marchienne, on est au milieu des usines. Une personne extérieure pourrait penser être dans la banlieue de Charleroi. En levant les yeux, elle s’apercevrait qu’elle n’est qu’à 300 mètres à vol d’oiseau, de la Place Charles II qui est le lieu des affaires de Charleroi. Les gens sont toujours abasourdis, choqués. C’est vraiment l’industrie lourde qui est jusqu’au cœur de la ville ».

Il a été une période lors de laquelle Charleroi était la banlieue de Marchienne. Marchienne était alors une des communes les plus riches d’Europe. Avec ses nombreuses voies d’eau et son réseau ferroviaire développé, elle était le lien entre toutes les industries : l’industrie du charbon, l’industrie du métal, l’industrie du verre, etc. Toutes les industries métallurgiques venaient s’y installer parce que ça coûtait moins cher de faire tourner les usines avec du charbon qu’avec du bois. Petit à petit, Marchienne est devenue une commune très polluée mais une commune très riche et connue. Les habitants, pour la plupart des personnes d’origine étrangère venues travailler dans les mines et les usines, ne voyaient pas la pollution, les nuages, la fumée, parce qu’ils avaient de l’argent. Cette ascension a continué jusque dans les années 70’. Puis, sont arrivées les fermetures des mines et des usines, les grèves des travailleurs, etc. Les habitants ont perdu leur emploi et sont devenus de plus en plus précarisés. Progressivement, entre les différentes origines, les personnes plus âgées qui ont beaucoup perdu et les plus jeunes qui sont venus s’installer à Marchienne parce que les loyers y étaient peu chers, tout s’est fort communautarisé. Les différentes communautés et nationalités se sont recentrées sur elles-mêmes.

« Au temps des mines, il y avait une grande solidarité entre les gens. Les mineurs étaient tous noirs. On ne voyait pas s’ils étaient d’une autre couleur. Cette solidarité du travail dans les mines, dans les usines, s’est perdue. Aujourd’hui, les gens sont pauvres et vivent dans la misère. Ils s’enferment dans leur rancœur »,  précise Anne Marie Faticati.

Dans ce contexte, MAI’tallurgie prend tout son sens. Il vise à donner une nouvelle forme de vie plus culturelle à la commune, à lutter contre les ghettos et à (re)développer le vivre ensemble et la solidarité entre les habitants.

Évolution et philosophie socioculturelle du festival

Au programme de la première édition du festival, en mai 2008 : des expositions, des tours en péniche, des gens qui font des photos de nuit, des promenades le long du chemin du Halage, un spectacle cabaret, un son et lumière avec les usines en fond, etc. Si le festival a rencontré un certain succès, force a été de constater que la population d’origine étrangère, majoritaire à la Porte Ouest, n’a pas été impliquée dans le projet.

Afin de toucher cette population, la seconde édition du festival, qui s’est déroulée en 2010 puisque MAI’tallurgie est un événement biennal, avait pour objectif principal de faire des ponts entre les cultures. Ainsi, la thématique plus spécifique de l’eau – les ponts mais aussi la Sambre, l’Eau d’Heure, les écluses, etc. – a été mise à l’honneur et un Village du monde a vu le jour. Chaque partenaire, chaque acteur culturel, chaque citoyen a travaillé la thématique à sa façon : balades en péniche, promenades contées et spectacles le long de la Sambre, création de trimarans, etc. Le Village du monde était, quant à lui, composé de représentants de différentes ethnies qui montraient la manière dont ils s’étaient appropriés cette idée de ponts, de passerelles. En termes de participation multiculturelle, le résultat de cette édition fut mitigé. La population d’origine étrangère n’est pas forcément venue au Village du monde et les associations culturelles de Marchienne, n’étant pas rassemblées dans un même lieu, ne se sont pas rencontrées.

Une solution est alors apparue. Pour impliquer les gens, il faut aller vers eux, il faut aller à leur rencontre dans les quartiers. C’est ainsi que, lors des éditions suivantes, l’atelier de théâtre citoyen Créa d’Ames s’est rendu dans les quartiers, au contact direct des citoyens, pour les inviter à participer aux pièces de théâtre et aux ateliers de création culturelle en amont du festival.

Anne Marie Faticati explique : « Quand on va dans un quartier faire une animation, on prévient à l’avance, on fait un démarchage. On va voir les gens, on sonne aux portes, on leur explique que le samedi suivant on va faire une petite fête là, devant chez eux. Ils répondent que c’est chouette et qu’ils seront là. On arrive, on monte notre petite scène, notre petit chapiteau, on s’installe. Trois ou quatre personnes viennent mais tous les autres sont derrière leur rideau. Quelle que soit leur origine, ils n’osent pas venir, ils regardent de chez eux. Ils sont tous enfermés dans leur maison et ils surveillent par la fenêtre. Puis, un enfant est envoyé pour voir ce qu’il se passe. Puis, la maman va sur le pas de sa porte. Et au final, après quelques heures, ils sont tous sortis et on est tous ensemble. C’est vraiment un travail de terrain ».

Dany Baudoux continue : « Les mentalités évoluent. Moi, je vois les enfants de l’école des devoirs de maintenant, ça n’a plus rien à voir avec ceux d’il y a 10 ans. Il y a 10 ans, c’était fort communautarisé. Les enfants d’origines différentes ne parlaient pas ensemble, ne se mélangeaient pas. Aujourd’hui, il y a plus de 20 nationalités différentes et ils restent ensemble, sans préjugés. C’est le résultat d’un travail de tous les jours ».

Ces expériences permettent de développer une participation collective à la vie sociale, étape importante vers la solidarité et la connaissance de l’autre. Créa d’Ames n’est pas la seule association qui vise la cohésion sociale, chaque acteur culturel qui participe à MAI’tallurgie organise des ateliers réguliers qui développent le vivre ensemble. Par exemple, l’Espace citoyen de la Porte Ouest travaille de manière récurrente le devoir de mémoire afin de lutter contre l’extrême droite, et met en place des cafés citoyens pour débattre de la citoyenneté. L’asbl Avanti travaille, quant à elle, différentes thématiques liées à l’insertion socioprofessionnelle. Elle essaie de dépasser l’aspect purement pédagogique de ses formations afin d’apprendre aux stagiaires à aller vers les autres, à vivre avec eux, à les découvrir.

Tous ces ateliers en amont du festival sont donc l’essence même du projet et permettent l’implication et l’échange entre les populations. Anne-Marie et Dany tiennent à préciser que, si la démarche est sociale, elle est aussi artistique. Des artistes professionnels encadrent les citoyens lors des ateliers. Il s’agit là d’un élément essentiel afin de renforcer l’estime de soi chez les participants. Le professionnel arrive à mettre en valeur des ressources insoupçonnées chez chacun. Ça permet à chaque individu de créer des choses de qualité dont il est fier et pour lesquelles il est reconnu. L’artiste est là pour outiller les personnes en demande de création, pour relayer et mettre en évidence la parole des gens.

En 2016, la cinquième édition du festival a fait un focus sur les friches en mettant en place de nombreux ateliers autour de la thématique “On ne s’en friche pas!”. Avec un concert “Nous défrichons au fil de l’art”, un cabaret “Noces de friches”, une croisière sur les friches, une exposition citoyenne collective, des moments de réflexions, une radio citoyenne éphémère et un spectacle son et lumière… MAI’tallurgie montre que tout le monde peut créer.

Plus d’informations sur www.maitallurgie.be

Mélodie Bodson