Parlons Mémoire(s)

Chers lecteurs et chères lectrices, voici une nouvelle rubrique qui se veut désormais récurrente. Une rubrique qui parle de MÉMOIRE(S). Rappelons qu’une structure comme le GSARA, crée dans les années 1970, avait reçu comme principale mission celle d’un travail sur la mémoire. De par son positionnement politique à gauche, ses missions d’éducation permanente et surtout la passion et les regards de ses travailleurs et travailleuses, cette « mission de mémoire » s’est penchée en priorité sur ce que nous avions appelé les « mémoires ouvrières », « mémoires de l’immigration » et« mémoires des luttes sociales ». Cette sensibilité thématique est plus présente que jamais et les missions d’éducation permanente dans lesquelles s’inscrit notre travail n’ont pas beaucoup changé.

Par contre, le contexte de l’audiovisuel a considérablement évolué : dans les années 1970, produire du son et de l’image était très onéreux. Un des aspects principaux de la démarche était donc de rendre cet exercice abordable au plus grand nombre et spécialement aux catégories les plus modestes : ouvrières et immigrées. Aujourd’hui, presque tout le monde est équipé d’un dispositif de prise de vue et, pour peu que l’on possède un ordinateur,onpeut se saisir d’outils performants pour réaliser un travail de qualité autrefois accessible seulement aux professionnels de l’audiovisuel.

Dans ce nouveau contexte, quel rôle peut encore jouer une association comme la nôtre dans le champ de la mémoire ?

Il reste tout d’abord les autres aspects du travail audiovisuel : la diffusion et l’archivage à destination des générations futures. Là encore, l’arrivée et l’utilisation massive d’Internet et des nouveaux outils de la communication ont largement fait bouger les lignes : la télévision n’est plus le seul point d’accès à la vidéo. Diffuser est devenu un acte terriblement banal, faire en sorte que son film soit vu est une tâche qui, à l’inverse, s’est considérablement compliquée. L’archivage également se numérise irrémédiablement. Néanmoins, la question des supports et de la longévité de ces archives restent des questions brûlantes.

Au GSARA, nous sommes en première ligne pour constater et réagir à ces changements. Pour qui et pourquoi continuer à filmer ouvriers, immigrés ou toute autre personne alors que chacun publie sa vie sur les réseaux sociaux ? À l’heure où une information est « périmée » quelques heures après sa diffusion, quel type de mémoire et de lecture gardeun sens pour la consultation des fonds par les générations futures ?

Comment réagissons-nous, comment traitons-nous nos informations, pris dans ce flux de plus en plus rapide ? Comment allons-nous construire notre Histoire commune ? Dans quel document piocher et qui le fera alors que l’accès aux savoirs se démocratise à grande échelle ? Confierons-nous encore cette tâche à des personnes spécialisées? Préférerons-nous l’objectivité des machines pour faire le tri ? Avons-nous vraiment les capacités de comprendre clairement cette nouvelle démarche alors que les algorithmes de recherche, de classement des données nous restent, avouons-le, largement opaques.

Et comment se comporte notre cerveau dans ce nouveau contexte ? Que retient-il et que laisse-t-il à la machine ? Connaissez-vous encore cinq numéros de téléphone par cœur ? Moi non, je m’abandonne totalement à mon téléphone pour cet exercice…

Les questions en rapport avec la ou les mémoire(s) pleuvent et rebondissent les unes sur les autres. C’est pour y faire un peu de tri que nous inaugurons aujourd’hui cette rubrique MÉMOIRE(S).

Bernard Fostier