Le film The Stuart Hall Project sera projeté dans le cadre de la programmation Afriques en rhizome (« Identités en mouvement ») le 9 novembre à 20.30 au Cinéma Aventure avec une présentation en français par Matthias De Groof, cinéaste et chercheur en Cinéma et Art visuel à l’Université d’Anvers.
Par la voix de Stuart Hall, l’une des figures centrales des Cultural Studies britanniques, John Akomfrah raconte la période post-coloniale, des mouvements d’émancipation des peuples de l’après-guerre aux séismes politiques récents. Dans un monde hybride, selon Hall, l’identité est une conversation perpétuelle.
Avant la sortie de l’installation à trois écrans The Unfinished Converation et le documentaire The Stuart Hall Project du collectif « Smoking Dogs » de John Akomfrah, je me rappelle que John Akomfrah me parlait de son héros Stuart Hall. Cette figure diasporique et intellectuelle publique – voix de la nouvelle gauche anglaise et père des « Cultural Studies » – était pour lui et tant d’autres une star charismatique et le « parrain du multiculturalisme ». C’est à lui que le collectif débutant du « Black Audio Film Collective » (BAFC), dont John faisait partie, fait appel après avoir tourné Handworth Songs en 1985. Ils ont passé des semaines à discuter d’image et de représentation. L’œuvre complète du BAFC et de Smoking Dogs est tributaire à la pensée de Hall. Le dernier film de Akomfrah en est un hommage, mais un hommage qui continue la conversation avec Hall au-delà des deux films.
Dans les années Thatchériennes, Stuart et le BAFC partageaient le souci de révéler aussi bien ce que le discours de gauche que celui de droite négligeaient quand ils commentaient les émeutes de 1981 à Brixton (Londres) et Handsworth (Birmingham) où de nombreux post-migrants ont commis des actes criminels. Au-delà de l’image négative de la droite ou positive de la gauche du « Black-British », le BAFC voulait surtout raconter le vécu des post-migrants, leurs rêves et les spectres qui les hantent. Dans ce but, BAFC cherche les intentions initiales et utopique du phénomène de migration qui, selon Akomfrah, est une « évocation d’amour » mais qui, en même temps, se heurte au refus dystopique « d’appartenir ». Ce sont ces doubles contraintes de l’Etat et des parents, de l’impossibilité de retourner et l’incapacité d’embrasser où l’on est, qui forment le moment de l’interculturalité. A une époque de la formation d’une génération « racialisée » en Angleterre, le BAFC aussi bien que Hall, se préoccupaient de la question raciale comme « the elephant in the room », une question qui était reçue avec une amnésie collective. Afin de rétablir la mémoire et afin de déstabiliser la polémique gauche-droite, le BAFC abordait une question politique avec une sensibilité esthétique et éthique qui invente un syntaxe visuel qui retourne vers l’incarnation de la mémoire : l’archive. Dans The Unfinished Converation et The Stuart Hall Project, ce dernier continue à se servir d’archives filmiques.
Pour créer ces films, John Akomfrah a fouillé pendant deux ans et demi dans plus de 8000 heures d’enregistrements. Ces archives, la plupart dans lesquelles Stuart Hall parle, sont aussi légitimes pour Akomfrah que les livres de et sur Hall, montrent l’évolution de la pensée de Hall et donnent le contexte dans lequel la pensée d’un intellectuel – qui a fait l’expérimentation dès le début de la migration après la deuxième guerre en Angleterre (1951) – a pu émerger.
The Unfinished Converation et The Stuart Hall Project recherchent, un quart de siècle après Handworth Songs, la question de l’identité et du multiculturalisme au départ de la pensée de Stuart qui dit que les identités sont créés au croisement d’événements historiques et l’activité psychique, à l’intersection du politique et de l’intime. Le débat perpétuel entre le dehors et le dedans forme le psyché et fait que l’identité est toujours dans un processus de devenir et toujours inachevée. On ne devient jamais, puisqu’on est toujours dans un processus d’arriver tandis que l’arrivée reste toujours à distance. C’est ce que Stuart appelle « the unfinished conversation », la conversation inachevée. John Akomfrah se disait que cela valait également pour Stuart même. De quelle façon cette conversation a-t-elle eu lieu dans son cas, une conversation qui a fait qu’un homme de descendance caribéenne, élevé en Jamaïque, devienne dans la vingtaine, dans les années 1950 en Angleterre, une figure de proue d’un mouvement qui était international, mais spécifiquement anglais : « the british left » ? Comment est-ce que le personnel et le politique se sont croisés dans sa vie pour créer le personnage de Stuart Hall qui nous dit que la périphérie est aussi essentiel que le centre dans la constitution de ce qui est anglais ? The Unfinished Converation et The Stuart Hall Project essaient d’illustrer la thèse de Hall en montrant l’intersection de l’histoire avec le psychique dans la vie de Stuart Hall. Ainsi, le film n’est devenu ni un film intellectuel sur les idées de Hall, ni un portrait du personnage et de la vie de Hall au détriment de ses idées, mais un film où les deux se réunissent en parlant de la manière dont l’identité reste provisoire, contingent et dépendant d’une conversation avec un monde extérieure.
Matthias De Groof