Union Européenne : Vers la neutralité du Net ou un Internet à plusieurs vitesses ?

Le 3 Avril, le Parlement européen a pris une décision majeure afin de protéger l’Internet ouvert en établissant une norme mondiale pour les droits et libertés en ligne. Ce vote sur la neutralité du Net était le point culminant de plusieurs mois de batailles dans les coulisses des institutions européennes entre les défenseurs d’un Internet ouvert et libre et le lobbying intense des opérateurs télécom. Le parcours fut en effet tortueux et semé d’embûches.

L’importance de la neutralité du Net

Pour la première fois, Internet nous a permis de communiquer à l’échelle mondiale. Le principe de la neutralité du Net garantit depuis sa création que tous les points du réseau peuvent se connecter à tous les autres, que chaque donnée est traitée de la même manière sans considération de son origine, destinataire, expéditeur, type de contenu ou des moyens financiers. Chacun a donc la possibilité d’utiliser et d’offrir des services en ligne. Chacun peut atteindre un nombre indéfini de lecteurs, d’auditeurs et d’utilisateurs – que ce soit des écoles, des activistes, des hommes et femmes politiques ou des petites entreprises. La neutralité du Net nous a apporté non seulement une diversité énorme en termes de contenus et de services mais a également facilité la participation au processus démocratique.

Neutralité du Net, adieu Internet ? (Spot) from GSARA asbl on Vimeo.

Une longue route

Cependant, la route vers une garantie légale de la neutralité du Net est longue. Il y a quatre ans déjà, la commissaire européenne en charge de la politique numérique Neelie Kroes avait déclaré vouloir protéger la neutralité du Net. Malheureusement, six consultations publiques sur ce sujet ont été nécessaires avant qu’une proposition concrète soit publiée.

Pendant ce temps, les opérateurs télécom bloquaient et ralentissaient l’accès aux services tels que Skype ou WhatsApp. Les ex-monopoles d’Etat ont en effet compris que fournir du contenu et des services – comme les réseaux sociaux, les services audiovisuels ou encore les moteurs de recherche – était très rentable et essayent donc de se faire une place sur ce marché. Leur position avantageuse leur permet de contrôler les communications sur leurs réseaux pour donner la priorité à leurs propres produits ou aux produits de leurs partenaires.

En Septembre 2013, la commissaire publiait enfin sa proposition pour un « Marché unique des télécommunications » – huit mois seulement avant les élections européennes. Son intention officielle: inscrire la neutralité du Net dans une loi s’appliquant à l’ensemble de l’Union européenne.

Une action de communication plutôt qu’une réelle ambition

Beaucoup de défenseurs d’un Internet libre pensaient que leur demande avait enfin été entendue. Mais comme dans tout texte juridique, tout est dans le détail. Le texte proposé par la Commission prévoyait la possibilité pour les opérateurs de créer des « services spécialisés » bénéficiant d’une qualité de service supérieure. Bref, elle proposait la fin de la neutralité pour faire place à un Internet à plusieurs vitesses.

Pire encore, le projet de loi de la Commission prévoyait que les opérateurs puissent décider de bloquer ou ralentir les communications s’ils estimaient prévenir des « infractions graves » – sans qu’une définition de ce terme ne soit donnée par la commission. Ceci aurait permis aux opérateurs d’interférer avec la liberté de communication, sans aucun cadre juridique ni contrôle judiciaire.

Le texte de la Commission faisait objet de nombreuses critiques, non seulement dans le monde académique et la société civile, mais aussi au sein de la commission même. En collaboration avec d’autres organisations, European Digital Rights a lancé la plate-forme SaveTheInternet.eu afin d’informer sur la proposition de loi et de mobiliser les citoyens afin qu’ils contactent leurs députés européens.

Finalement, le 3 Avril, le Parlement européen a adopté les amendements déposés par les groupes sociaux-démocrates (S&D), libéraux (ADLE), verts (Verts/ALE) et de la gauche unitaire (GUE/NGL) pour combler les lacunes de cette proposition et pour protéger de manière effective un Internet libre et ouvert.

Et maintenant ?

La bataille pour la neutralité du net n’est pas terminée. Suite au vote au Parlement européen, c’est maintenant au Conseil de l’Union européenne de se mettre d’accord sur le texte de loi. Le rôle de la Belgique, au même titre que les autres états membres, sera de contribuer à l’élaboration d’un texte le plus solide possible.

Il est fort probable que la proposition revienne au nouveau Parlement européen en deuxième lecture. Il est donc crucial de rester mobilisé pour que le nouveau Parlement défende les droits et libertés sur le Net et ré-affirme sa volonté de garantir la neutralité du Net comme principe fondateur d’Internet.

Kirsten Fiedler
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