Difficile de parler d’enfermement sans aborder la question délicate des centres fermés. Les centres fermés jouent un rôle central dans cette politique menée par la Belgique et posent de nombreuses questions en matière de respect des droits fondamentaux.
Apparus officiellement en 1993 avec la loi Tobback, les centres fermés sont des centres où sont détenues des personnes en situation irrégulière, bien souvent en vue de les renvoyer dans leur pays d’origine ou dans un pays par lequel ils ont transité avant d’arriver en Belgique. L’Office des étrangers1 estime à 6000 le nombre annuel de personnes qui y sont enfermées.
Bien qu’ils soient ouverts depuis plus de 25 ans, peu d’informations sont disponibles sur le sujet. Il existe très peu d’images d’archive et assez peu d’informations dans les médias ou de la part de l’Office des étrangers, ce qui crée une certaine opacité sur le quotidien des personnes qui y sont retenues.
Alors pourquoi si peu de matière ? Que cachent réellement ces centres ? Selon les différentes associations qui luttent contre ceux-ci2 et les détenus3 eux-mêmes, les conditions de détention des centres fermés ne respectent pas les droits humains, principe pourtant fondateur de notre société occidentale (dans les textes, tout du moins). Cette invisibilité et l’inaccessibilité de ces lieux empêchent d’instaurer un véritable contrôle sur le respect des droits des personnes qui y sont détenues et posent de nombreuses questions sur la politique migratoire menée en Belgique.
Le collectif Point Barre4 a décidé de se pencher sur ces questions et de mettre en lumière la réalité des centres fermés en Belgique tout en dénonçant le non-respect des droits humains des personnes détenues.
La Belgique condamnée en justice
Faits marquants de la politique pratiquée par la Belgique, celle-ci a été, à plusieurs reprises, condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de l’enfermement et des conditions de vie à l’intérieur des centres fermés, notamment pour non-respect de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui traite de l’interdiction de recourir à la torture et à tout traitement inhumain ou dégradant) et pour non-respect de l’article 8 de la même Convention, relatif au respect de la vie privée et familiale (entre autre lorsque maris, femmes et enfants sont séparés dans les centres ou que les détenus n’ont pas le droit de voir leurs proches ou de communiquer avec eux).
La Cour européenne des droits de l’homme estime donc que le traitement appliqué dans les centres fermés en Belgique relève d’un traitement inhumain et dégradant et que cette privation de liberté est en contradiction avec les droits humains fondamentaux.
En 2008, après plusieurs condamnations de la Cour pour avoir détenu des enfants dans les centres fermés, la Belgique a cessé d’enfermer des mineurs. Mais 10 ans plus tard, en juillet 2018, le pays a décidé de remettre ça en réouvrant des ailes pour familles avec enfants au centre 127bis, en bordure de piste de l’aéroport de Zaventem.
Vous avez dit prison ?
Outre le fait que l’arrêté royal qui fixe les règles de fonctionnement des centres fermés se réfère explicitement à l’arrêté royal portant sur les établissements pénitentiaires, d’autres éléments permettent d’affirmer le caractère carcéral de ces endroits. Hauts grillages ou grands murs surmontés de barbelés, barreaux aux fenêtres, caméras de surveillance, restrictions et contrôles des visites ou encore matricules attribués aux détenus, toutes ces privations sont difficiles à supporter pour les détenus et ont des conséquences psychologiques notoires, telles que des troubles anxio-dépressifs, du stress post-traumatique et de l’anxiété.
Mais la souffrance est aussi et surtout morale : les personnes enfermées dans ces centres y sont détenues sans durée précise et ne reçoivent aucune information à ce sujet. Or, ces personnes sont détenues non pas parce qu’elles ont commis un crime mais bien parce qu’elles n’ont pas de titre de séjour légalement requis par la Belgique. Elles ne savent donc pas quelle peine leur sera infligée, combien de temps elles passeront dans le centre sans compter que certains d’entre eux ne comprennent pas leur situation, en raison de la barrière de la langue. Cette période d’enfermement et d’incertitude est très stressante pour les détenus à laquelle s’ajoute un sentiment d’impuissance car ils ont le sentiment de ne rien pouvoir y changer.
Hervé, étudiant à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), a passé un mois au centre fermé 127bis. Il témoignage de son expérience et de son vécu dans le centre.
Bien que condamnée à plusieurs reprises et interpellée par les collectifs et instances officielles, la Belgique ne semble pas apprendre de ses erreurs. Le gouvernement prévoit d’ouvrir trois nouveaux centres d’ici 2021, doublant ainsi la capacité de détention de notre pays. Et s’il était possible de penser une migration sans porter atteinte aux droits humains et au respect des personnes migrantes ?
Et si on commençait à ouvrir les yeux sur les centres fermés ?
Emilie Jacquemart
1 L’Office des étrangers est l’un des services du Service Public Intérieur qui est l’instance compétente pour l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Elle est notamment responsable de la gestion des centres fermés.
2 Notamment le CRER (Collectif contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation), Getting the Voice Out, la Ligue des Droits Humains ou encore, Le CIRE (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers).
3 Le choix du mot « détenu » est ici délibéré même si les textes de loi utilisent le terme d’ «occupants » . Ces personnes sont privées de liberté et sont enfermées, au même titre que les prisonniers dans un établissement pénitentiaire « classique ».
4 Point Barre est un collectif créé en septembre 2018 qui vise à sensibiliser, informer et dénoncer les conditions à l’intérieur des centres fermés.