Anna Raimondo ou l’art de l’atelier sonore

« Lorsqu’on travaille avec la voix des autres, il faut la rendre audible »,

Anna Raimondo.

Créatrice sonore, Anna Raimondo explore la radio comme un langage permettant la réminiscence, la reconstruction des souvenirs et des mémoires. Le son comme relation entre les hommes, entre les lieux et les hommes, entre les hommes et leur passé. Son travail prend la forme d’une onde, ample et généreuse, son dynamisme la poussant tantôt vers les cimes de l’art contemporain, tantôt vers la main et le micro tendu vers l’autre, en quête d’une forme d’expression sonore collaborative.

Aux prémices de sa pratique « pédagogique », réside la conjugaison de l’enseignement de la langue italienne et l’utilisation de la radio. Dans Marsiglia parla italiano, elle explora l’italianité de résidents de Marseille, qui ont tous un aïeul italien. Le son, la voix, la vibration de la langue traverseraient-ils les générations ? Au travers de micro-trottoirs et de travail en studio apparaît un dictionnaire de la langue du Panier, ce quartier populaire de la ville phocéenne. Un lexique coloré de provençal, de français, de napolitain. Le verbe du racisme également, avec les macaroni, les mangia spaghetti, les ritals. En ligne de mire, en aboutissement, le direct radio comme délivrance du travail, sur Radio Grenouille.

Une démarche autour de la langue, l’interlangue, la langue en construction, sédimentation des usages et des passages, que l’on retrouve également aujourd’hui dans sa collaboration avec Parlez-vous 1060, dans le quartier Bosnie.

Le travail d’Anna Raimondo s’articule autour de la mémoire et de la sensibilisation à l’écoute. Une oreille tendue vers le monde qui nous entoure qui passe par l’écoute de la radio. Comme s’il fallait s’échauffer les oreilles en les exerçant à écouter du radio art, avant de pouvoir capturer le sonore. Comprendre la grammaire du son, ce qu’il évoque en nous, avant de chercher à susciter des émotions. Parcours logique, évident, dans la photographie, le cinéma, chaque personne ayant été confrontée à l’image, à une culture de l’image. Pour la radio, il en est tout autrement, et il s’agit de dépoussiérer les oreilles pour les rendre aptes de nouveau à entendre.

Entendre, et faire entendre l’inaudible, le souvenir, la trace. C’est l’enjeu du travail d’Anna Raimondo, exploratrice itinérante de la mémoire sonore. Un travail collaboratif qui prend alors la forme de l’atelier. Ce fut le cas lors de ses collaborations avec les Ateliers Echoes. À la Ciotat, par exemple, elle guida un groupe hétéroclite dans l’ancien quartier ouvrier, l’historique chantier naval, devenu ville fantôme. Sur les ruines et les décombres du passé, les participants expérimentent, enregistrent, attisent leur curiosité. Le passé est-il toujours vibrant dans le présent ? Est-ce qu’on l’entend ?

La collecte des participants devient matière pour l’artiste qui au final combine, métamorphose, et rend aux gens qui les ont dénichés, leurs sons sous une nouvelle forme, transmissible, adressée à un autre, c’est à dire radiophonique. Le travail d’atelier se conjugue alors avec une œuvre qui se tisse progressivement, et se nourrit de l’apport des moments de workshop et de transmission. L’œuvre d’Anna Raimondo est également empreinte de nostalgie, de quête de la mémoire et en dernier lieu de quête de soi. Cette quête prend dans son travail et dans ses ateliers la forme de l’autoportrait sonore, premiers pas vers la découverte d’un langage inédit. Être sa propre matière, et se transformer en son. D’un haut degré de conceptualisation, cette démarche ne peut fonctionner avec tous les publics. Anna Raimondo adapte alors sa démarche pour la rendre plus ludique et l’ancrer dans le quotidien des participants, notamment des plus jeunes. Ainsi, a-t-elle proposé à des adolescents de réaliser leurs propres sonneries de Gsm à partir de field recording, de samples de la ville. Une réappropriation du son qui nous entoure, ou de celui qu’on subit.

Avec les plus petits, le détour de la fiction est le cheminement qui dresse les oreilles enfantines. Le bruitage, la bande son, l’écriture, l’imagination. Et puis le résultat final, l’écoute de soi avec les autres. Le théâtre sans image, le cinéma sans projection. Avec la complicité de la Web Radio Mobile, son travail avec les maisons d’enfants Epargne & Willems a fini sur les ondes et dans la rue. Le résultat et les détails en écoute sur le site de Radio Panik.

A l’image de son parcours personnel, la pratique d’Anna Raimondo est internationale. Madrid, Londres, Bruxelles, l’Italie, le sud de la France. Ces ateliers aussi peuvent voir le jour jusqu’au Maroc ou à Dakar en compagnie de Saout Radio. Toujours dans le désir de sensibiliser à la création sonore et de faire jaillir les sons oubliés, de les reconstruire. Et un étonnement, une joie intacte : « C’est beau des gens qui s’écoutent pour la première fois, qui découvrent l’enregistrement de leurs voix, qui découvrent le son qu’enregistre un micro plongé sous l’eau ».

Et à la fin, même si c’est elle qui monte et mixe un travail à l’origine collectif, ce n’est pas une œuvre qu’elle revendique. Ce qu’elle souhaite c’est aller au-delà du témoignage, dans la recherche d’une esthétique. Une esthétique qui peut être brute, qui peut s’éloigner du cliché d’une voix cristalline, mais une esthétique qui doit avant tout recéler un rythme. Le juste rythme qui rend la parole audible, vivante, vibrante. Le secret d’Anna Raimondo ? Être à l’écoute de notre rythme.

Plus d’infos sur le travail d’Anna Raimondo : annaraimondo.wordpress.com

Guillaume Abgrall