Les Voix du Doc, un cas d’école

À travers la mise en ondes d’une Radio-citoyenne à l’occasion du Mois du Doc, focus sur un précepte de l’Éducation Permanente qui se retrouve au cœur de la dynamique interne au Gsara.

PROLÉGOMÈNES

L’ascendance est définie comme l’action de s’élever, de monter. La pédagogie ascendante est une valeur centrale du travail d’éducation permanente, qui vise à organiser des activités menant ses publics à une participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique. Le.la travailleur.se d’éducation permanente se doit de faire émaner des publics à la fois un regard critique, des revendications et des moyens d’action. En ce sens nous employons le terme-clé d’ascendance. Sur le terrain, les équipes du GSARA appliquent des méthodes vouées à créer cette ascendance au contact de leurs publics, souvent précarisés.

Appliquer ce principe sur le terrain est une chose, mais ceci peut être appliqué aussi en interne, les coordinateurs de notre mouvement d’éducation permanente faisant émerger des sujets, des idées, des pratiques, de la consultation collective de ses animateurs.trices. Aujourd’hui, l’ascendance est la source de la réussite d’un programme ambitieux d’ateliers et d’actions médiatiques mis au point au sein du GSARA : les  VOIX DU DOC – LA RADIO CITOYENNE DU MOIS DU DOC.

CADRE

Les 10 et 24 novembre derniers, les deux premières émissions LES VOIX DU DOC ont été retransmises en direct et enregistrées. Deux fois une heure de radio, à laquelle ont participé, chacune dans leur province, trois antennes régionales du GSARA (celles de Charleroi, de Bruxelles et de la Province de Luxembourg). En amont, chacune de ces antennes avait réuni quelques participants (affiliés du CPAS habitués du Service d’Insertion Sociale Nemesis à Charleroi, adultes volontaires réunis à l’initiative de notre animatrice à Marche-en-famenne, élèves de 7e préparatoire aux écoles supérieures d’art de l’Institut Saint-Luc secondaire à Bruxelles). Lors d’ateliers préparatoires, chacun de ces trois groupes a participé à des ateliers d’éducation aux médias lors desquels ils ont visionné et analysé des documentaires programmés dans le cadre du MOIS DU DOC. Sur base de ces films, ils.elles ont préparé leurs interventions derrière les micros ou encore débattu des thématiques citoyennes abordées par les cinéastes via leur moyen d’expression.

Cette première tentative convaincante des VOIX DU DOC est une édition expérimentale. Cette activité accomplit un programme d’éducation au cinéma documentaire, d’expression citoyenne, d’initiation à la pratique radiophonique, tout en créant un dialogue interculturel et intergénérationnel. Une activité qui ne demande qu’à se déployer davantage, et nous envisageons déjà de la reproduire à plus large échelle en 2023. Une réussite qui n’est pas le fruit du hasard et qui a dû essuyer quelques revers avant de trouver cette forme.

GENÈSE

Depuis la première moitié des années 2010, l’antenne régionale du GSARA Bruxelles (d’abord installée à Molenbeek et depuis peu à Anderlecht) a acquis un savoir-faire, une expérience et une réputation grandissante dans le domaine des ateliers radiophoniques. Les travailleurs.ses, mené.e.s par Thibault Coeckelberghs ont notamment produit de nombreuses émissions retransmises sur Radio-Panik (Dans une heure c’est terminé, Radio Maritime) ou réalisé des outils pédagogiques sous forme de documentaires sonores (Les Radieuses – 2015 ; Portraits sur le fil du lien – 2017). Pour garder une trace de ces pratiques, l’équipe du GSARA Bruxelles a aussi élaboré le Guide Pratique de l’Atelier Radio en 2016. Depuis 2019, cette antenne a également mis au point des formations destinées aux travailleurs sociaux qui souhaitent utiliser l’outil radiophonique dans le cadre de leurs ateliers, des formations qui se poursuivent souvent par un accompagnement à la création d’une web-radio ou à la réalisation de podcasts.

Naturellement, les coordinateurs en éducation permanente du GSARA se sont évertués à implanter ces bonnes pratiques dans les autres antennes régionales. Ainsi se sont créées notamment l’expérience Radio Sans Nom à La Louvière ou encore la Radio Artmétiss à Jumet. Misant sur la mise au point d’une pratique collective, nous avons réalisé trois expériences précédentes de RADIO CITOYENNE en  2019 et en 2020, trois émissions de deux heures chacune auxquelles ont participé divers groupes bruxellois, louviérois et marchois. Malgré leur pertinence en termes pédagogiques et de construction participative (les sujets et contenus y étaient élaborés conjointement lors de journées de travail communes entre les groupes), le bilan de ces expériences restait mitigé, trop laborieux dans l’organisation, peu ludique, peu visible du fait de leur déconnexion à un événement d’actualité… Ces émissions se sont vues confrontées aux difficultés d’impulser une dynamique commune, attisant à regret un sentiment de compétition entre les différents groupes et parfois même une forme de repli communautaire. En interne, nous dressions ce bilan mitigé au premier trimestre 2020.

REMÉDIATION

La crise sanitaire nous a donné l’opportunité de tester de nouveaux outils de travail en ligne mais aussi de prendre le temps de remettre en perspective certaines de nos pratiques. Progressivement, nous avons décidé d’équiper nos antennes régionales de matériel adapté à la création d’un premier studio radiophonique. Des formations en ligne ont été organisées pour que nos animateurs puissent prendre en main des logiciels de montage son et de mixage. Lorsque les contraintes se sont assouplies, les travailleurs.ses de la régionale de Bruxelles ont délivré en interne une formation à l’utilisation de l’outil radiophonique à vocation pédagogique dans un contexte socio-culturel. Ascendance au travail, nous avons tiré parti de ces moments d’échanges entre praticiens pour revoir en profondeur notre projet radiophonique commun.

Primo, nous avons décidé de nous inscrire dans le cadre d’un événement pré-existant. Ainsi le MOIS DU DOC s’est imposé naturellement. En effet, sa volonté de frapper l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles est commune à notre projet initial de créer un projet qui touche l’ensemble de notre territoire d’action. D’autre part, la production, réalisation et diffusion du cinéma documentaire sont historiquement indissociables de notre structure, l’analyse de ce medium est une des lignes directrices de notre action d’éducation aux médias et, évidemment ce cinéma vivant et polymorphe ouvre des débats vers de nombreuses thématiques de société. Last but not least, la durée de l’événement nous laisse une large de manœuvre pratique non négligeable. Après rencontre, les organisateurs du MOIS DU DOC se sont montrés ravis de collaborer avec le GSARA pour cette expérience originale de médiation culturelle, apportant leur soutien en termes de communication et de lien avec les films programmés, leurs auteurs.trices et leurs producteurs.trices.

Secundo, les nouvelles technologies, l’expérience du travail en ligne et les investissements en matériel ont permis d’apporter beaucoup plus de légèreté dans le dispositif. Chaque antenne régionale est devenue indépendante techniquement, chacun reste sur son territoire et les premiers échanges se font directement via les ondes, ce qui n’empêche pas que des rencontres physiques puissent être organisées, notamment à l’occasion de l’évaluation commune du projet, souvent organisée autour d’un moment convivial.

BILAN

Drôles, pertinentes et agréables à l’écoute, les deux émissions réalisées dans le cadre du Mois Du Doc 2022 nous encouragent à poursuivre et améliorer l’activité. Les participant.e.s ont apprécié la souplesse du projet, ses espaces de liberté et de création (ils.elles ont choisi certains films traités, réalisé des habillages, collaboré à des interviews ou à la programmation musicale). Les animateurs.trices responsabilisé.e.s et indépendant.e.s vis-à-vis de la technique ont mis en pratique leurs nouvelles compétences acquises au cours des mois précédents. Malgré la distance géographique et l’apparente complexité du processus, LES VOIX DU DOC s’est révélé un véritable espace d’échange interculturel et intergénérationnel, les films documentaires constituant les référentiels communs desquels émergent naturellement des sujets de société (l’accueil des migrants, l’implication des jeunes dans la vie politique, l’égalité des sexes), autant de prémisses possibles d’un travail d’action citoyenne à venir.

Ces résultats enthousiasmants sont donc bien le fruit de l’ascendance du procédé, c’est bien de nos pratiques de terrain, de nos expériences et de la consultation de nos travailleurs qu’est née cette action cohérente avec l’ADN de notre structure, centrifuge (elle ouvre potentiellement la voie à d’autres actions d’éducation permanente), et qui touche l’ensemble de notre territoire d’action. Il nous tarde déjà de renouveler l’aventure en 2023, en y impliquant davantage d’antennes régionales et de participant.e.s.

Les émissions sont à retrouver ici : https://gsara.be/ateliersmedias/les-voix-du-doc/

Olivier Grinnaert, Coordinateur pédagogique pour le GSARA asbl.