Avec plus de 30 longs métrages en 2016, l’Égypte possède l’une des productions cinématographiques les plus importantes du Monde Arabe. Sous contrôle d’une poignée de distributeurs, les écrans des cinémas commerciaux y sont de plus en plus remplis de mélodrames ou de comédies burlesques à interludes musicaux. Cette situation de monopole s’explique par un système de lois favorables à une certaine élite économique. En effet, les petits producteurs indépendants ont été forcés de quitter le marché dans les années ’90 car la compétition avec les grosses compagnies qui bénéficient de réductions d’impôts et d’autres avantages devenait trop rude. Ajoutez à ces blocages financiers injustes une lourde censure et une kyrielle de lois restrictives infranchissables pour les réalisateurs s’ils ne font pas partie du Syndicat du Cinéma (le détail dans cet article), la situation n’était tout simplement plus viable.
En imaginant qu’un réalisateur indépendant parvienne tout de même à terminer son film en Égypte, une nouvelle bataille commence : celle d’être vu par le public. Car la situation de monopole va plus loin et bien souvent, en Égypte, les producteur, distributeur et propriétaire du cinéma ne sont qu’une seule et même personne. Difficile pour un non-initié de se faire une place sur les écrans sans faire partie du réseau. Les propriétaires de cinémas commerciaux préfèrent en effet garder toutes leurs séances pour les films qu’ils ont produits et qu’ils distribuent.
À moins de 15 minutes à pied de la place Tahrir…
2011 a sans doute donné un nouveau souffle aux réalisations indépendantes d’Égypte et des pays voisins. L’énergie et l’esprit nés des manifestations ont vu émerger des gens plus motivés, plus optimistes et plus prêts à prendre des risques. Cela se ressent par la présence de leurs œuvres dans les programmations de nombreux festivals internationaux et bien souvent dans le palmarès. Malgré ce succès, ils sont encore perçus comme des projets trop risqués pour les distributeurs et programmateurs de leur propre pays.
Cette histoire, Tamer El Said la connait trop bien. Il lui aura fallu près de 10 ans pour terminer son film, In the Last Days of the City, et la première, annoncée au Festival International du Film du Caire en novembre dernier, a finalement été annulée à la dernière minute.
Depuis 2014, il existe, en plein centre du Caire, un refuge pour les films comme celui de Tamer El Said : Zawya, un cinéma d’art et d’essai lové dans une ruelle piétonne sur l’ancien emplacement d’une petite madrasa (école religieuse). Il y règne toujours cette double idée de la transmission, mais aussi du culte (du cinéma). Zawya propose 5 séances quotidiennes navigant entre fictions, documentaires, courts et longs métrages, classiques et œuvres plus expérimentales, le tout ponctué d’événements tels des workshops et autres rencontres. Le projet s’inscrit avec complémentarité dans une vague d’initiatives culturelles et artistiques comme Cimathèque ou le Festival du Film Africain de Louxor toujours du côté cinéma.
Malgré le climat de méfiance politique vis-à-vis des institutions culturelles du centre-ville — qui a conduit à la fermeture surprise, fin décembre, par les autorités, de la galerie d’art Townhouse (rouverte depuis sous réserve d’approbation par l’État de son programme : et du théâtre Rawabet — Zawya ne cesse de prendre de l’ampleur.
… un cinéma pour les films qui ne sont pas au cinéma
Les films de sa programmation sont passés au travers de toutes les étapes de contrôle gouvernemental précédemment citées. Et si certaines parties ont été supprimées par la censure, Zawya préfère ne pas les montrer du tout. Au-delà de ces contraintes locales, Zawya rencontre aussi une difficulté universelle à tous les cinémas d’art et d’essai : réussir à atteindre des publics divers et faire grandir son audience. Le public potentiel égyptien est large et, à côté du prix attractif de ses séances (20 livres égyptiennes, soit moins de 1 €), Zawya travaille sur plusieurs fronts pour y arriver.
En allant au cinéma, on pense choisir le film qu’on va aller voir. Mais on oublie souvent que quelqu’un a déjà fait une grande partie du choix à notre place. L’offre dans les cinémas commerciaux s’étant dangereusement uniformisée, Zawya cherche à donner à voir un maximum de propositions différentes, également au-delà de ses murs. Zawya compte plus d’une corde à son arc et embrasse également le rôle de distributeur pour y arriver. À ce titre, Zawya est en charge d’amener des films étrangers dans les cinémas du Caire et de ses environs. Il s’occupe également de tous les aspects de la distribution de films égyptiens (une douzaine actuellement), de leur première mondiale à leur inscription en festival en passant par leur sortie en cinéma ou encore les droits télé.
Zawya accorde également une grande importance à la collaboration avec les écoles. Ils organisent de nombreuses séances scolaires et fournissent aux professeurs désireux tout le matériel éducatif adéquat pour accompagner le film. Ils ont ainsi la volonté d’offrir aux enseignants et à leurs élèves l’opportunité de découvrir d’autres types de médias.
Vous l’aurez compris, Zawya est un projet à garder au coin de l’œil, tout comme son festival Cairo Cinema Days. Encore une raison de faire un petit passage par l’Égypte.
Enfin, si vous voulez vous plonger un peu plus dans la thématique, je ne saurais que trop vous conseiller le « métadocumentaire » Filming Revolution. Il prête une attention toute particulière aux documentaires, aux productions indépendantes et aux approches créatives de la représentation de la culture égyptienne et de la société juste avant, pendant et après la révolution. Bon voyage.
Maureen Vanden Berghe